mardi 17 janvier 2017

Déconnexion des connexions



Je rêve souvent d'un coin de rivière, symbole d'un paradis perdu où je reviens régulièrement. L'érosion du temps y a enlevé toute consistance alors que le paysage paraît échapper aux lois de la déliquescence. Le bruissement liquide de cette veine intarissable est resté intact et joue toujours de son irrégularité, me surprenant par son scintillement sonore que je connais par cœur. Cet arbre, Mon Arbre, a certes pris un peu d'embonpoint, mais il continue à se plaire dans la contemplation du film unique de sa vie.

Le vécu et la maturité ont percé l'opacité de mes pupilles, jadis hermétiques à tout spectacle spirituel. Ce déchirement oculaire est venu mélanger toutes sortes de choses. Nostalgie, esprit, névroses, blessures, souvenirs, joie et amour côtoient désormais la contemplation naïve d'autrefois et modifient la fidélité de mon regard à jamais. Mes sensations organiques sont venues souiller tout autant que sublimer la pureté de mon microcosme suranné. Cette invisibilité du temps qui passe a tâché la beauté primitive de mon Innocence.

Pourtant le plaisir et le bien-être que me procurent ce lieu sont toujours présents. Mais la sensation travestie par le Vécu est-elle vraiment plus riche ? Aime-t-on davantage un lieu, une chose ou une personne lorsque nos sensations sont modifiées par un sac à dos rempli de connaissances et d'expériences ? Ne vit-on pas cet instant à travers le prisme d'un Moi modifié obéissant à un faux ressenti ? Que reste-t-il de ce que j'aime vraiment ?

Je m'assois sur mon caillou fétiche et ferme les yeux pour humer la fidélité des parfums paradisiaques. Mes sens olfactifs, bien que mis à mal par de nombreuses cigarettes, me transportent dans un monde de déconnexion temporelle. Les odeurs ne sont pas sournoises et n'ont aucun secret. Elles se révèlent telles qu'elles ont toujours été et pénètrent mon corps pour faire revivre le Non-Vivant originel, celui que j'étais avant de devenir un autre moi-même. Cet air humide couplé à une odeur de sous-bois me fait voyager du haut de mon immobilité. J'ai l'impression d'accéder à un instant suspendu, à un Temps Commun immuable, ravivant une mémoire collective du Moi. Ce flux naturel me nettoie et fait le vide en moi pour éclaircir mon regard bien plus clairvoyant depuis que j'ai les yeux fermés.
Certes des souvenirs me reviennent mais ces odeurs ont réussi à fédérer les Moi en leur offrant la fertilité d'un terreau olfactif. Quels qu'aient pu être mes choix passés je possède une ligne invulnérable liée à ces effluves primitives et prends conscience de ma Multiplicité à travers mon Unité éphémère.

Arbre aux mille branches anarchiques, je me souviens dans ces moments-là du goût de ma sève constituant ma personnalité réelle. Cette unicité disparaît à l'ouverture de mes paupières, ouvrant un nouvel acte dans ma vie...

vendredi 25 décembre 2015

Le Siècle de la Lumière







Voltaire, Rousseau, Diderot, Montesquieu ? C'est qui ça ? Ils doivent au moins jouer en D2 avec des noms pareils. Richard avait lâché cette phrase comme un rot contrôlé puis s'était vite remis à sa tâche de tous les instants : Faire apparaître la Lumière au moyen de son pouce.


Seulement deux siècles avaient suffi pour populariser l'esprit de la Lumière. Plus besoin de faire usage de son propre cerveau, le pouce faisait désormais l'affaire. Ce dernier s'était doté d'un cerveau externe infaillible qui avait réponse à tout. Confortablement maintenu par les quatre autres doigts, ce cerveau High Tech était en quelque sorte une divinité matérielle qui arrachait chaque humain à sa propre réalité.

Et quel bon choix que ce nouveau cerveau. Chacun pouvait briller par sa connaissance pointue dans un domaine que bien souvent il ne choisissait pas. Nous étions tous devenus des intellectuels éphémères, capables d'obtenir n'importe quelle information sans la moindre recherche, le pouce préhenseur s'occupait de tout. D'un simple glissement de peau le monde s'ouvrait à nous et captivait illico nos deux pupilles avides de nouveauté surannée.

Nous avions été jetés dans un état de disponibilité permanente, le temps libre sans attente particulière avait été pulvérisé d'un seul coup. LE POUCE ÉTAIT DEVENU UNE LANGUE PARLANT LE MORSE, AVEC UNE VOIX CAPABLE DE TRAVERSER LES FRONTIÈRES. Nous baignions dans une bulle où toute contrainte avait été annihilée, hormis le fait d'avoir du temps libre propice aux divagations constructives. L'environnement y était sain, nous y tenions une place choisie de manière méticuleuse, dotés d'un physique rêvé et d'un intellect contrôlé au sein d'une communauté loquace.

Mais depuis quelque temps, le Cerveau de Richard avait été débranché, ses jours étaient comptés. Il se mettait à clignoter, comme un malade qui a des regains de vitalité avant la fin. La dictature EDF avait eu raison de lui. Tout son univers s'écroulait, sa communauté sombrait dans le flou, son intellect vacillait de plus de plus. Le manque de disponibilité engendré le plongeait dans une véritable solitude, entourée d'inconnus réels aussi perdus que lui. La Lumière n'était plus que Spectre d'elle-même, l'obscurantisme faisait son retour. Après quelques clignotements agonisants, Richard se retrouva plongé dans un monde réel effrayant, sans notification l'aidant à analyser la situation. Chair sans cerveau, ce corps se retrouvait face au Miroir cruel et sincère de la réalité, perdu parmi des âmes levant un pouce orphelin vers le ciel.

lundi 14 décembre 2015

Notre Dame n'a pas ri






Cela faisait maintenant une bonne demi-heure que Charles jouait au bilboquet avec la tête de Sarah, le sexe dressé, les mains derrière son crâne moite. Il gagnait à chaque fois. Faut dire qu'il n'avait pas grand chose à faire, le trou verbal de Sarah venait à chaque fois épouser la forme de son col roulé suintant de vie. Il avait une belle vue du haut de son corps. A chaque remontée de tête, Charles apercevait son sexe semblable à une langue tirée de manière suave...

Mais au fond vivait-il vraiment cet instant de plaisir ? Ne s'était-il pas surpris à penser à ses potes et à commenter intérieurement l'acte auquel il était en train de s'adonner ? Ne serait-il pas comme la plupart des Hommes qui n'ont jamais su aimer AIMER ?

Au final, Charles niquait avec ses potes sans le savoir. Il accumulait les aventures et ne réalisait pas encore qu'il était complètement manipulé par ses hormones, et que derrière un plaisir orgasmique de 10 secondes, il y avait tout un scénario à l'opposé de ce qu'il croyait. L'équilibre et l'estime de lui qu'il avait atteint le poussait à multiplier les conquêtes pour finalement ne vivre que pour ça.

A chaque confrontation avec la Gent féminine, il pensait à sa tétine encore enroulée dans la fausse pudeur d'un caleçon, semblable à un rideau de théâtre, qui allait s'abaisser pour conclure l'acte réfléchi et civilisationnel laissant place à une animalité révélatrice de sa personne profonde. Il fallait qu'il déverse son trop plein de vie dans un réceptacle fertile, c'est ce que les gènes lui avaient appris quand son Canon à Vie s'était armé de munitions quotidiennes. Finis les génocides dans les lavabos, les douches, les mouchoirs. Finis les créatures de rêves imaginaires qui ne résistaient pas longtemps à ses avances, si pitoyables qu'elles fussent. Il lui fallait du concret, du palpable, les vases communicants étaient devenus son emblème.

Mais avec les années, Charles était devenu un fin stratège de la séduction. Il aimait draguer et cherchait même par moment à plaire sans penser à concrétiser. Son animalité s'était transformée en Art et la Conquête n'était plus uniquement l'apanage de sa seule sexualité. Il entrait sans le savoir dans le véritable monde de la femelle. Il était devenu un psychologue chevronné et avait épousé progressivement la philosophie génétique de la femme.

Déceler une lueur de complicité dans l’œil féminin, rechercher un terreau fertile à l'osmose pour y déployer sa stratégie de prédateur sentimental, jouer la carte du détachement pour attirer par le mystère, Charles était complètement métamorphosé. Le beau gosse ridé était devenu un homme à femmes qui entreprenait de sédentariser sa sexualité. La qualité était devenu bien plus jouissive que la quantité. L'homme avait vaincu l'animal. Autrefois hyène qui sautait sur ses proies nuit et jour, il était devenu une créature nocturne qui ne révélait son animalité qu'après avoir accompli son rôle d'Homme.

lundi 13 mai 2013

L'Art Terne Actif






Quelque part, je vois une Nature florissante à l'arrivée du printemps, dégageant des odeurs poétiques. Des mers de montagnes crépues laissent apercevoir un paysage bosselé, entrecoupé par des routes liquides. Le ciel y est d'un bleu turquoise et semble se jeter dans l'horizon avec une allégresse jubilatoire …

Quelque part, je vois une décadence urbaine créée de toute pièce par des humanoïdes déracinés, se frappant la tête contre des murs artificiels. Chaque bipède y est poursuivi par un nuage noir grêlant de haine, un téléphone portable en guise de parapluie.

Quelque part, entre tes jambes, je vois l'invisible dans ton regard hagard, ton visage décomplexé arbore la seule Vérité ici-bas. Plongé dans ton gouffre originel, je nais et je meurs sans interruption dans un va-et-vient incessant, le corps battant au rythme de la Vie.

Quelque part, je suis né d'une rencontre lymphatique entre deux êtres qui se sont aimés le temps d'une éjaculation. Les doigts nus mais une alliance autour la bite, je glisse dans la viscosité féminine, créant la musique lubrique d'une guitare organique.

dimanche 21 avril 2013

Le Zubial, Alexandre Jardin (1997)



Alexandre Jardin écrit de manière exaltée, sa prose est fraîche, dynamique et joviale. Dans "Le Zubial", il rend hommage à son père, personnage atypique et haut en couleurs.
Un grand-père collabo, un père faussement frivole, un oncle mystérieux,... la famille Jardin est une famille comme on a rarement l'occasion d'en voir. C'est un véritable théâtre au quotidien, les scènes loufoques et extravagantes se multiplient pour donner une biographie colorée qui marque le lecteur tenu en haleine de bout en bout.

Pascal Jardin est un omni-homme, il excelle dans tout et désire avant tout vivre l'instant présent qu'il considère comme l'essence même de la Vie. Ainsi, lors d'une balade en rase campagne, il s'arrête près d'une cabine téléphonique et signe un chèque en blanc qu'il glisse dans le bottin. De retour dans la voiture, il s'exclame : " Vite, profitons de la vie, si quelqu'un trouve ce chèque nous sommes ruinés !"

Il fait envoyer des fleurs quatre fois par jour à une prostituée pendant des mois pour que le concierge la prenne pour une princesse. Il rétrécit les murs du couloir pour que les huissiers ne puissent pas enlever les meubles, il organise des cambriolages mis en scène, comme les grand cambriolages d'antan...

En plus d'une succession d'évènements plus rocambolesques les uns que les autres, "Le Zubial" revêt un caractère psychologique, qui sera approfondi et complété dans un roman ultérieur intitulé " Le Roman des Jardin". Difficile de se construire en tant qu'enfant quand on se trouve confronté au monde adulte dès son plus jeune âge. Difficile d'accepter la Vie lorsque le principal acteur en sort. Tout au long de ce court roman, on ressent un manque cruel de la part de l'auteur et pourtant jamais l'on ne sombre dans le Pathos. La densité des phrases ou plutôt leur intensité vient retranscrire la force qui unissait Alexandre à son père. Un roman qui est difficile à refermer avant sa fin. A lire

Ejaculture ménopausée







Hier, on a volé mon Enfance au coin de la rue. Je l'ai retrouvée deux bières plus tard, un peu cabossée mais joviale. 


Chaque enfance est une naissance posthume, un souvenir qui se vit après l'avoir vécu. Tel un célibataire infidèle, l'enfant n'a pas d'âge et envisage ce qu'il veut sans pour autant le faire.

Pete arpente le chemin de la vie à reculons , tourne le dos à demain pour chercher un avenir passé. Que signifie le temps qui passe ? Pourquoi s'embêter à suivre un chemin tout tracé si à la fin il n'y a plus rien ? Restons ce que nous n'avons jamais été pour faire de soi un inconnu à explorer. La scoliose reste l'indice le plus tordant pour déceler un individu qui a fait le choix de perdre son identité foncière dans le but de trouver celle qu'il n'a pas pu avoir. Son corps prend l'apparence d'un point d'interrogation tout en prenant la forme d'un fœtus issu de l'Embryon Originel. Le Doute et la Vérité ne font plus qu'un pour donner naissance à une existence unique en fin de parcours.


Courir à reculons sur l'escalator de la vie et y croiser les gens normaux qui glissent sur leur non-vie. Dévaler les pentes de la Montagne Magique pour vomir la Vallée insipide et morose . Anéantir l'Homme sûr à grand coup de Surhomme pour mettre à mal ses certitudes. La Vérité est une chose qui s'invente, dans un microcosme suranné aux reflets de chair. Comme Tarkovski, il faut s'obstiner à arroser un arbre mort tous les jours pour nourrir l'inutile et se désillusionner de la fausse beauté de la Vie.


C'est un peu la magie de la Vie que de chercher l'animal grâce à la finesse. Quel est le but de l'Existence, si ce n'est cette recherche d'une clarté empirique, cette quête de l'entité limpide par le morcellement chaotique ?

dimanche 31 mars 2013

de la gerbe en binaire






Et c'est reparti, l'alcoolocation avec mon âme ne se passe pas comme prévu. Recroquevillé comme un fœtus, je pousse des hurlements liquides dans ce puits sans faim depuis bientôt une journée. Demain, il fera nuit. Dès mon réveil, j'irai me coucher pour tenter de récupérer le périssable qui viendra bientôt. La bête humaine que je suis demeure en circuit fermé, et ne peut qu'étaler ses aigreurs dans l'attente d'un assèchement de la source. Est-ce Thomas le responsable ? Peut-être que oui, car tout à l'heure je me souviens qu'il m'ouvrait grand les bras quand j'avais une bouteille à la main. J'ai été trop généreux avec lui, à le combler de cadeaux il me renvoie tout à la gueule, il devient mon ennemi au petit matin. « Vomi tard que jamais » comme il dit.

Un célèbre proverbe dit «  Si tu as un ennemi, ne cherche pas à te venger, assieds toi au bord de la rivière et attends, tu verras son cadavre passer ». Mais comment peut-on régler ce problème quand on est la source de ce propre fleuve ? Je ressemble à ces gargouilles qui ouvrent la gueule toute la journée, un filet d'eau sortant de la bouche en permanence. Mais j'aime la forme que prend ce tsunami lorsque je me mets à sourire, je me sens comme Moïse, ouvrant l'amer rouge d'un simple faciès moqueur.
C'est drôle l'envers du décor. On avale en homme et on vomit en animal.

Mais en même temps plus d'angoisse existentielle en période de dénutrition. Le trop-plein nous préoccupe bien plus que la peur du vide. On rêve d'un néant intérieur, on chasse toute chose qui peut avoir un sens.

Puis par moment ça se calme, et l'on se rend compte que les chiottes ont un visage, un mec plutôt cool avec une casquette géante, ouvrant une gueule pas possible. Je me dis que ce type doit être content de voir des têtes par moment mais le trouve en même temps un peu scato.

J'ai eu le jeu plus gros que le ventre, je démange, j'avale mes déboires, je dors comme la Loire, je crache le feu de mes trente ans, je rends le surplus de sociabilité que j'ai octroyé à moi-même. Artiste en gerbe, je peins l'inachevé tel un grapheur face au mur du dimanche matin. Puis quand j'en ai marre, je me sauve en courant. Il n'y a pas de raison, au collège c'est moi qui courait le plus vite de la classe. La gerbe ça ne doit pas courir très vite étant donné qu'elle se pointe toujours en fin de soirée, voire au petit matin. Mais non rien à faire, j'ai sûrement pas mal perdu depuis...

Au commencement était la gerbe.

mercredi 27 février 2013

The Master, Paul Thomas Anderson (2012)






Freddie, un vétéran, revient en Californie après s’être battu dans le Pacifique. Alcoolique, il distille sa propre gnôle et contient difficilement la violence qu’il a en lui… Quand Freddie rencontre Lancaster Dodd – « le Maître », charismatique meneur d’un mouvement nommé la Cause, il tombe rapidement sous sa coupe... 


Un océan brassé et pétri par les turbines d'un bateau. Le navire passe sous le Golden Gate et part pour New-York. Une micro-société tangue sur ce navire. un duel travesti en thérapie entre un alcoolique et un gourou prend naissance...

Pendant plus de deux heures, nous assisterons à la mise en scène de la thérapie employée par un gourou apparenté à la Scientologie. Mais le problème c'est qu'il ne se passe rien dans cette relation vide, dans cette confrontation réciproque. Paul Thomas Anderson aime les grands films et il les réussit bien souvent. Mais tout bon fan devra avouer que ce dernier film est un soufflet qui retombe dès la première heure. 
Que rechercher de fin et de subtil dans ce film quasi documentaire, dans cette illustration abstraite de l'évolution de deux cerveaux malades ? L'abstraction est tellement présente que l'on ne parvient à pénétrer aucun des personnages. On ne peut que les observer, les voir évoluer et en tirer une conclusion : le sujet devient le maître de son maître déchu, la thérapie ou l'enrôlement a échoué, seule la femme du Maître semble gérer la situation et en sortir renforcée. Mais au final, qu'est-ce que cela nous apporte ? Comment gloser cette psychologie de l'invisible, ce suggéré dû à un manque d'idées, ce gaz comblé par des acteurs sublimes ? Car s'il y a un point fort dans ce film, c'est quand même la prestation de Joaquin Phénix et Philip Seymour Hoffman. L'un pour sa folie, l'autre pour son acharnement et sa volonté de percer et d'exorciser le Mal.

Paul Thomas Anderson nous avait habitué à plus de finesse. Dans "The Master", il semble que la mise en scène ait primé sur la précision du scénario, chose pas forcément efficace pour un film psychologique. A noter que certaines scènes comme la course de moto dans le désert sont cultes et c'est pour ça que l'on regrette de ne pas pouvoir aimer ce film...