mardi 28 avril 2009

Batalla en el cielo, Carlos Reygadas (2005)


Dès les premières minutes, le film annonce la couleur. Un homme amorphe, gros et ignoble est en train de se faire sucer par ce que l’on peut prendre pour une prostituée. Puis le film démarre. On apprend que l’homme en question se prénomme Marcos et qu’il est le chauffeur d’Ana, qui se prostitue pour passer le temps. Ana est jeune, belle et équilibrée. Marcos est hideux, insensible et bestial. Le film se construit sur ces oppositions et tente d’offrir une normalité à la laideur.

A Mexico, ville polluée et surpeuplée, Marcos vient de kidnapper un bébé avec sa femme encore plus ignoble que lui. Mais l’enfant n’a pas survécu et les deux acolytes se retrouvent avec une faute qu’il faut expier. Marcos va tenter de racheter son péché en faisant pénitence, donnant ainsi une dimension religieuse (un peu foireuse) au film.

« Bataille dans le ciel » est dérangeant, sale mais original. Les personnages principaux sont des anti-héros qui se prostituent pour les uns et vivotent à l’état de larve pour les autres. Marcos et sa femme baisent comme des animaux, ne jouissent pas car ils ne le peuvent pas, aucun désir, aucun plaisir, aucune sensibilité n’est détectable. Semblables à des bouts de chair, les deux monstres n’existent pas vraiment en temps qu’êtres humains. Même lorsque Marcos s’adonne aux « plaisirs » de la chair avec la belle Ana, il garde cette attitude de mollusque.
Pourtant Marcos tient à la vie, car il a peur qu’on découvre son crime, se pisse dessus quand il s’agit d’aller se livrer à la police. Il se tourne vers Dieu afin de se laver de ses péchés, ce qui permet au réalisateur de dresser un portrait pieusement con du peuple de Mexico.

Mais il suffit de faire un zoom arrière pour se rendre compte que ce couple ignoble et anormal n’est pas pire qu’autre chose. Que ce soient les vues aériennes déshumanisées de Mexico, les processions encensées par la bêtise et l’ignorance ou l’ennui ambiant qui conduit à la décadence, on réalise au final que ce couple inhumain n’est en fait que le symbole d’une ville en perpétuelle déliquescence. Le kidnapping de l’enfant reflète la volonté de continuer à se reproduire tout en sachant que la vie des générations futures sera encore plus morose. Enfin la scène finale donne raison à la violence unique échappatoire pour survivre. Le film se termine comme une apothéose où sainteté, sexe, bêtise et violence semblent engagées dans une pente à sens unique.

Sans être un chef-d’oeuvre, « Bataille dans le ciel » est à voir, pour la gueule de ses acteurs mais aussi pour cette poésie cruelle qui plane sur le film pendant près d’une heure trente.

jeudi 16 avril 2009

Rencontre à Saint-Anne


Sept heures du matin, quelques alcoolytes sélectionnés par le temps et l’endurance toxicomane s’échangeaient encore quelques mots essoufflés et vides. Le doux soleil estival venait piquer mes pupilles enflammées et me rappelait que le plus dur de la journée était encore à venir. L’envie de boire était toujours là mais mon corps avait largement eu sa dose quotidienne et ne me suivait plus. C’est alors que j’aperçus cette silhouette droite et tonique au beau milieu de ces cadavres de bouteilles de bière.

Seul depuis trop longtemps, désespéré par des rencontres de plus en plus rares, mon corps pourtant retissant au moindre effort me guida droit vers la proie et me fit asseoir à côté d’elle.
Mes yeux fatigués prirent le relais et emplirent mon corps d’un flot d’hormones revitalisant. Posée sur son cul, cette agréable créature portait un débardeur qui laissait entrevoir un décolleté affriolant. Sur son corps svelte se dressait une tête pleurant des larmes de sang. Je ne mettais pas longtemps à comprendre que ces traînées rouges étaient le fruit d’une séparation brutale et inattendue.

Attendri et émoustillé, j’entamais donc une discussion passionnée avec elle. Elle me dit qu’elle était assistante sociale et qu’elle apportait un peu de réconfort aux âmes en peine. Cette soirée, elle a tenté en vain d’aider un jeune en détresse sur les coups de deux heures du matin. Mais celui-ci a refusé lui crachant à la gueule toute son incompétence et la laissant là, déboussolée par tant de haine et d’incompréhension. Tout en continuant à verser des larmes, elle me dit que ses collègues avaient eu bien plus de succès. Je les observais sur la place, vidées de toutes leurs substances sociales et me dit que ce métier devenait difficile quand on se retrouvait refoulé de tout le monde.

De la générosité, il lui en restait, à ne plus que savoir en faire. Seulement elle ne savait pas la communiquer, la transmettre. Je ne sais ce qu’il me prit, mais je l’embrassais goulûment, afin de lui apprendre à se libérer de sa générosité. Je découvris là un manque de talent mais également une fille à prendre au onzième degré, c’est dire si la Nature ne l'avait pas gâtée. Faire dans le social n’était décidemment pas mon truc et je décidais de la jeter à mon tour. L’ultime cri que fit cette assistante sociale ratée s’étouffa dans la flaque de sang où elle baigna jusqu’à l’arrivée des balayeurs.