mardi 18 décembre 2012

Au-delà des collines, Cristian Mungiu (2012)







Alina revient d'Allemagne pour y emmener Voichita, la seule personne qu'elle ait jamais aimée et qui l'ait jamais aimée. Mais Voichita a rencontré Dieu et en amour, il est bien difficile d'avoir Dieu comme rival.


Dès les premières images on est happé par ce climat glacial, par cette communauté qui vit de manière isolée en quasi autarcie, par ces paysages à la sévérité magnifique, par cette Roumanie affamée mais solidaire et par le talent de Cristian Mungiu...

Alina rentre d'Allemagne, de cet occident au-delà des collines, souillée par une impureté charnelle et spirituelle. Voichita a succombé au charme invisible d'un prénommé Dieu. Qui de la chasteté ou de la chair l'emportera ? « Papa », le prêtre de la communauté, vient ici se poser en arbitre spirituel entre Alina et Voichita. Lorsque Voichita lui fait part de son désir de partir en Allemagne pour ramener Alina à la raison religieuse, « Papa » lui répond que « celui qui s'en va ne revient pas pareil ». Pourtant Voichita est restée et c'est elle qui a changé. Son amour pour Dieu la rend niaise, soumise et réglée. En revanche, Alina est humaine, imprévisible et sanguine. Aux yeux du prêtre, elle est possédée par le Malin, il faut donc l'exorciser...

Il s'ensuit tout une séries de vaines guérisons religieuses. Lorsque Alina a ses crises, les nonnes s'agglutinent autour d'elle pour l'immobiliser, donnant ainsi des images sublimes de désarroi mais également de sincérité. Les nonnes apposent un regard naïf, observateur et à la fois curieux sur Alina. Elle représente le mal, peut les mettre en danger, religieusement parlant, mais elle porte une souillure qui la rend attrayante. "Au-delà des collines" est un peu la fusion entre "Des Hommes et des Dieux" et l'Exorciste". Les influences d'Haneke et de Dreyer se font ressentir mais on sent que l'on peut vite tomber dans le film d'horreur vers le milieu du film. C'est une des réussites du film, de posséder plusieurs ambiance, de changer de style tout en restant classe et linéaire.

Ce qui est fort aussi, et qui donne toute sa dimension au film, c'est le dénouement. On revient à la réalité et on se rend compte qu'Alina a gagné, qu'elle a détourné Voichita de Dieu, que l'Amour a triomphé de la Religion. Mais ce sont aussi ces marques sur le corps d'Alina et cette supposition qu'elle a été maltraitée par la communauté religieuse, qui semble vouloir faire le Bien mais qui est aveuglée par ses convictions religieuses. Alina fait don de sa personne à Dieu pour reconquérir Voichita. Au lieu d'être un échange, comme tout amour normal, cet amour fonctionne comme un vase communicant, l'amour spirituel que donne Alina à Dieu est récupéré en amour terrestre par Voichita. Plus Alina est affaiblie, plus elle se « donne » à Dieu, et plus Voichita sort de sa condition servile de nonne. Alina passe de femme à martyr tandis que Voichita passe de nonne à femme. La déshumanisation d'Alina, qui ne parvient pas à matérialiser le seul amour compatible avec celui de Voichita, fait renaître en cette dernière des sentiments humains et charnels. Mais finalement, à aucun moment Alina ne croit réellement, ce don de soi est une démonstration de son amour pour Voichita, lorsqu'elle regarde Dieu elle y voit Voichita.

Ce film est chiant sur la feuille mais sublime à l'écran. Outre l'histoire d'amour tragique qu'il relate, il dresse un constat assez noir mais certainement lucide sur la Roumaine d'après Ceaucescu, avec sa misère atténuée par la solidarité et utilisée par certains (comme la famille d'accueil d'Alina) et ses enfants maltraités par des coupables impunis (pédophilie). Le rideau de boue qui s'abat sur le fourgon de la police met un terme au film de façon magnifique.

 

dimanche 2 décembre 2012

L'ivresse livresque




Devant moi, deux pupilles en liesse qui ne cessent de dire non de la tête. De cette frénésie, il émane une voix intérieure dont le timbre est indéfinissable. Je me complais à observer ce que je dévoile lorsque l'on m'effeuille. Tantôt malmené, tantôt ignoré, je ne cesse de voir des tronches de con, le plus souvent binoclardes en train de dévorer mon intérieur. A quand une bonne paire de miches ou un mont de Vénus ? Ras-le-bol d'observer des bouches pincées semblables à des culs de poules, des doubles mentons aidés par la position horizontale, des intérieurs de nez d'une richesse nauséabonde, des souffles fétides qui me renvoient une image ennuyeuse. J'aurais aimé naître gros, chapitré et pointu pour ne pas être déçu. Mon Créateur ( connu pour la célèbre phrase : «  Je trouve la Littérature tellement fade que j'ai décidé de l'écrire moi-même ») aurait dû avoir la plume un peu plus lourde de manière à ce que l'on ne puisse plus me soulever du bout des bras. Petit être chétif dans son costume de papier, j'ai toujours été en admiration devant ces encyclopédies et ces dictionnaires qui semblaient savoir tout sur tout. Nos discussions me frustraient tant ils m'écrasaient avec leurs savoirs alors que je racontais tout le temps la même histoire. Même en discothèque c'étaient eux qui faisaient les vigiles :


Encarta 1985 : «  Salut les petits romans, on est tout seul ce soir ? Ce soir c'est entrée libre pour les bandes dessinées et gratuits pour les romans accompagnés de mangas. »

La Petite Fadette : «  S'il vous plait, on est de la littérature de Terroir, on ne connait pas de littérature étrangère, on peut rentrer ? »

L'intégrale de Naruto et de Jodowrosky arrivent devant la boîte.

Universalis : « Entrez Mesdames et Bonne soirée. Ne faites pas attention à ces romans ennuyeux qui radotent.
Boule et Bill : «  Eh, «  La Bête Humaine », tu me montres tes parties textuelles ? Je te montrerai mes desseins ?

Le Petit Robert : «  Pas de ça ici ! Vous vous croyez dans une bibliothèque ou quoi ? »




J'étais en manque de rencontre et sombrais dans une décadence totale. Je me faisais alors prendre par derrière par un Japonais rustaud ( je compris alors la dure vie des annales), mutiler par un égoïste de passage qui me croyait unique, dénuder par une lectrice sensuelle qui découvrit ma couverture, ou encore violer par des yeux endormis qui se fermèrent avant de voir mon dos.

Je me faisais donc gigolo dans une bibliothèque et passais de main en main dans une prose des plus charmeuses, si bien que mon épiderme s'en trouva tout craquelé. Puis le maquereau de la bibliothèque jugea que je commençais à être obsolète et m'attribua un rayon beaucoup moins passant. Malgré un lifting et un massicotage dernier cri, je tombais dans l'oubli et l'abandon. Je jetais l'encre sans le vouloir...

Mais un beau jour, je sentis du mouvement et ma solitude prit fin à la page 157. J'observais mon nouveau voyeur du haut de ma troisième ligne et je vis que j'avais affaire à un passionné. Ses gants caressaient doucement mes pages et ses pupilles me renvoyaient un reflet d'or. Cet amoureux ne me connût pas d'un trait et abaissa ma cravate vers mon adolescence. Je fus placé à côté d'un rejeton de Fedor. Toutes les semaines, je ne voyais plus défiler des mains mais des yeux. On ne me lisait plus mais on m'observait, paraît que j'étais devenu un spécimen. Tous les autres étaient devenus de simples images virtuelles que l'on découvrait timidement du bout du doigt, des livres sans papier qui avaient droit de cité. Mais où était donc passée cette complicité que j'avais connue lorsque j'étais encore subversif et que je circulais de manteau en manteau, avant les mains, puis les yeux, puis les gants ?

Les têtes humaines avaient donc réussi à cloner le livre, d'un simple clic avec leur doigt. Ce doigt qui servait à me découvrir auparavant était désormais une trique à la fertilité immatérielle. La bataille des livres était à nouveau lancée, mais cette fois face à une armée de semblables invisibles et prolifiques. Plus besoin d'avoir la ligne, d'arborer un faciès plaisant ou encore d'être dans un coin fréquenté par des yeux lubriques.

Nous étions devenus des objets encombrants, peu intéressants et voués à disparaître dans des harems géants remplis de retraités.