mardi 22 septembre 2009

Frustrations et dépendances


Ca y est le wagon est raccroché, la marginalité ou plutôt l’exclusion dans laquelle François a été victime tout au long de son enfance n’est plus qu’une page tournée. Pourtant rien n’a changé dans son être, il a juste rencontré des personnes différentes, peut-être plus matures ou moins exigeantes. Il a désormais des envies de crier, de se faire une place dans sa nouvelle vie, de rattraper ou d’effacer le temps perdu. Sa différence, qui lui a jadis tant fait défaut, il en joue à présent, en force le trait et y construit une bonne partie de sa personnalité, par le folklore et la pseudo dérision.

Pourtant les séquelles sont encore là. Son rapport avec certaines personnes semble affecté à jamais. Jadis, François était touché par chaque nouvelle personne qui daignait entrer dans sa vie, c’était son univers entier qui prenait un nouveau visage, un nouveau départ. La frustration a certes bien disparue, psychologiquement, par un arrangement qui s’est construit sur le long terme, mais ce qui persiste c’est la dépendance envers une frustration passée.
Sa place dans la société n’aspire pas à la stabilité. Acceptant la domination de certains êtres, il refuse que des personnes semblant à sa portée puissent avoir des qualités qu’il n’a pas sur le moment ou qu’il n’aura jamais. Le combat de François se déroule essentiellement dans sa « caste », dans ce qui lui semble abordable. Quand il ne parvient pas à évoluer il tente de mettre sous le regard d’autrui les défauts de ses semblables, afin de garder une proximité dans la course qu’il mène vers une finalité qu’il ignore lui-même mais qui rythme sa pauvre vie de frustré.

Au fond de lui François reste malheureux, attend ce qu’il souhaite tout en sachant inconsciemment qu’il ne l’aura probablement jamais. Il tentera de préserver sa nouvelle personnalité tant qu’elle conviendra aux autres puis en changera avec l’évolution de son entourage, toujours en évitant d’être lui-même de peur que ce passé douloureux rejaillisse à tout moment…

lundi 21 septembre 2009

Cirrhoses de la rue




Blessé par la chaleur glacée d’une nuit disparaissant derrière une lueur de plus en plus livide, déçu de n’avoir encore en tête qu’un souvenir à inventer, je trimballe avec moi tout un univers pourrissant et jetable qu’il faudra gérer l’espace de ces quelques heures avant de rejoindre mon pieu, berceau des mes idées noires. Mes jambes, remplies d’un sang des plus acides, semblent détachées de mon corps, divaguent par moment et me mènent vers des contrées que je connais par cœur. Je ne fume plus mais fait sortir machinalement une fumée irritante que je peine à ingurgiter. Intoxiqué, je ne l’aie jamais été autant qu’aujourd’hui, depuis la dernière fois, jusqu’à la prochaine fois… Mon cœur fonctionne en manuel, c’est moi qui lui ordonne sa cadence, qui le fait vivre. Chaque bouffée d’air vient me rappeler que j’en manque cruellement, jadis aspirateur d’air pur je ne suis désormais qu’une cheminée mal ramonée qui tire de plus en plus mal. Spectre de moi-même je ne pense plus, je survis en pensant que je suis jeune, que ces excès disparaîtront quand j’aurais exorcisé mon mal-être avec la nuit journalière à venir.

C’est décidé je rentre. Il le faut avant que je n’observe les gens réglés qui dormaient lorsque je cherchais en vain un peu de chaleur humaine. Tout est raté, encore une nuit passée dans le Vice le plus stérile, et pourtant je recommencerai. Je ne sais quel espoir me pousse à m’user de la sorte. La Mort m’effraie mais pourtant je la provoque chaque nuit, lui tend la main avant de la retirer au dernier moment. Je ne supporte plus les soirées en intérieur ou la table sur laquelle je pose mes bouteilles et mes culs de clopes expose quantitativement mon suicide annoncé. Ce qui aurait été gratifiant lorsque j’étais imberbe est désormais malsain et effrayant. Je me consume à petit feu, dans l’anonymat, je veux tuer toute ma vie avant de mourir, n’offrir à la Mort que le minimum de vie pour qu’elle reste sur sa fin.

Je me réveille et je vais mal. C’est décidé j’arrête tout, je peux me rattraper, effacer toutes les erreurs qui logent dans mon corps. Puis il reste tant de films à voir, de livres à découvrir, de musiques à écouter et à refaire. Je contemple ma bibliothèque et je m’émoustille à l’idée de lire cet énième Dostoïevski, qui me poussera vers un autisme passager. J’allume mon ordinateur et fait une liste des films que je vais regarder le lendemain, car aujourd’hui le temps s’est arrêté, je ne peux que préparer mon présent, en attendant de se remettre à vivre. Chaque seconde je meurs, un flash morbide apparaît puis disparaît, des sueurs froides et des hauts le cœur viennent rythmer ma passivité. Jamais je n’ai autant regretté d’avoir accélérer ma vie. Hier j’aurais pu faire ce que je ferai demain. Quel gâchis…

Ma deuxième nuit s’est mieux passée. Je me réveille avec une certaine joie de vivre, je lis, regarde un film et suis satisfait à l’idée d’avoir fait quelque chose de ma journée, d’avoir donné un peu plus de valeur à ma personne. Cette amélioration de moi me donne envie de sortir, il faut que je montre le nouveau moi aux autres, peut-être trouverais-je quelqu’un qui daignera m’écouter, du moins en fera-t-il semblant…