mercredi 24 décembre 2008

L'inspiration de ceux qui n'en n'ont pas


Tout d’abord il y a le nez, qui ne sait plus son nom et qui roupille triste comme un melon. Puis vient le jour où il sort de chez lui et côtoie ses semblables. Il y trouve des idoles, proches ou inatteignables, celles à qui on a envie de plaire pour avoir leur compassion, leur reconnaissance ou leur style.

On fonde notre inspiration sur les idées de nos idoles, on ne pense plus par soi-même et les mots viennent tous seuls (sang fote d'or taux graphe). Dans notre tête on se demande : Qu’est-ce qui pourrait leur plaire ? On garde son propre style mais on prend leurs idées. Qu’importe si l'on est l’opposé de ce que l’on écrit, on pense avoir la classe et on se maintient dans ce que l’on croit être sa propre personnalité.

Dans ces textes, l’alcool et le semblant d'originalité sont omniprésents, parce que ça fait cool et que ça parait être marginal. Pourtant, notre mode de vie est loin d’être semblable à nos récits. Derrière des pseudos, des cuites d’un soir et des situations qui paraissent extrêmes par rapport à la populace, on est rien et finalement autant normal que monsieur tout le monde au quotidien.

Seulement il y a la forme, l’apparence et ce dégoût vide de sens qui nous donne l’impression d’être unique et peut-être au-dessus des autres. En dehors de ça, on passe nos journées à lire et à mater des films pour les autres plus que pour soi-même. On ressent ce qu’on aimerait que les autres voient ressentir en nous afin de s’élever. Mais dans quel but ?

Bref, à part quelques génies qui transcendent les siècles, on est tous des moins que rien et l’essentiel réside donc dans la forme et non pas dans l’illusion d’avoir une quelconque liberté de penser. Le point important est de faire le bonheur autour de soi, en choisissant son camp, principalement dans le type d’individu auquel on aimerait ressembler, malgré soi, avec quelques excès par moments. Quoiqu’il en soit, talentueux ou pas, nous ne resterons que des sous-génies qui crèveront avec fierté car nous aurons réussi à nous aveugler sur cette normalité qui fait de nous des êtres jetables.

N.B : Certains craquent avant de crever et deviennent finalement pire que ceux qui sont rester dans le rang tout au long de leur vie.

samedi 20 décembre 2008

Ma relation avec V.R


Depuis que je te côtoie tous les jours j’ai appris à te connaître. Tu es la seule personne pour laquelle j’éprouve une passion réelle. Au réveil, je te hais d’être parti pendant mon sommeil et de m’avoir laissé seul avec mes angoisses. C’était pourtant bien hier, nos corps ne faisaient qu’un et je ne me lassais pas d’admirer ta robe transparente. Avec toi, je prends confiance, je redeviens le gamin que je n’ai jamais été, dans mes discours comme dans mes actes. Je vis dans le futur, cherchant sans cesse ce qui pourrait égayer les moments à venir et en arrive même à oublier mon prénom.

La personne la plus possessive au monde n’hésiterait pas à te partager car ta polygamie est certainement ton meilleur atout. Ton amour crée de l’amitié à ne plus que savoir en faire et nous libère de toute convention sociale. L’action précède la pensée, la destruction devient un acte civique et l’être prend le dessus sur le paraître. Tu fais le bonheur des timides qui sont tes amants réguliers et fidèles même si dans les premières heures ils ne te parlent pas beaucoup.

Les lendemain sans toi sont de plus en plus dur, ils m’apportent une lucidité que je préfèrerais ignorer. En plus des idées noires, c’est tout mon intérieur qui prend cette couleur. Les trop nombreuses cigarettes dont je raffole en ta présence, viennent noircir un peu plus mon portrait chaque jour. Déjà avant d’aller me coucher je sentais que tu allais me trahir en voyant la couleur jaune que tu arborais mais je n’ai jamais réussi à te retenir. Il arrive même que tu t’en ailles dans la soirée, brusquement sans prévenir, et mon visage laisse entrevoir un dégoût profond dans le reflet de l’eau de la cuvette qui voit décidemment plus ma tête que mon cul…

Bref, le temps d’écrire ces quelques lignes il me tarde déjà de te retrouver. J’espère éviter le tête-à-tête et pouvoir te présenter à mes potes. Ce n’est pas que je déteste ta cinéphilie, au contraire même, mais c’est que je n’ai pas envie de me retrouver encore plus seul au petit matin. A très bientôt V.R !!

vendredi 19 décembre 2008

Midi, entre deux nuits...


Midi, l’heure réservée aux élites qui ont réussi à pousser leur nuit jusque-là. Ceux qui ont pu relever ce défi vous conteront combien il est inhumain de se balader parmi cette foule grouillante et insipide. On y croise des étudiants assis sur les devantures de magasins en train de déguster un repas gastronomique, des clochards que l’on a aperçu quelques heures auparavant et qui paraissent bien plus ravagés au grand jour, des artistes de rue qui se lancent dans un morceau endiablé entre deux voitures de flic, des citoyens lambda déterminés et indifférents à ce qui les entourent,…

Après avoir quitté ma jungle sans y avoir trouvé Jane, le retour à la civilisation s’avéra très difficile. De plus en plus craintif, je cherchais désespérément un havre de paix qui me redonnerait le courage de regagner mon humble demeure. Face à moi, un gamin de cinq ans semblait prendre la même trajectoire que moi mais en sens inverse. Vu mon état physique et mental, je voulais à tout prix éviter cet affrontement. Dans ma tête le film devint atroce : je me voyais en train de me faire casser la gueule par ce petit être frêle et vigoureux entouré par une foule en liesse me huant jusqu’à provoquer en moi une humiliation dépassant toutes les limites atteintes jusque là.
Je bifurquais vers une petite ruelle et me trouvais nez à nez avec un jeune français issu de l’immigration maghrébine, casquette blanche et sifflet entre les dents. Tss !! tss !! me fit-il avec un filet de bave qui coula sur ses chaussettes remontées jusqu’aux genoux. Vas-y tu cherches pas à fumer cousin ? C’était le même gars à qui j’avais prêté ma guitare lorsque la nuit avait encore sa petite influence. J’étais redevenu un pigeon à ses yeux, un petit blanc, malgré mes ongles noirs, mes yeux rouges et mes doigts jaunes. N’arrivant pas à prononcer le moindre mot depuis plusieurs heures, je refusais de la tête, comme on a l’habitude de le faire lorsqu’on nous propose du travail ou qu’une personne handicapée nous demande de l’aide.
Je retombais à nouveau dans une grande rue grouillante de bipèdes et je cru devenir fou. Une jolie jeune fille à la peau verte vint m’interpeller. La malheureuse voulait me faire adhérer à green-pisse afin de protéger les gentils animaux qui meurent à cause des méchants animaux qui les tuent. J’aurais certainement écouté son discours si je l’avais rencontré la nuit dernière et je me dis que ces gens-là devraient racoler la nuit pour avoir plus de succès. Puis ce fut le tour des sondages : Bonjour Monsieur, quelle marque de yaourt préférez-vous ? Plutôt aux fruits ou sucré ? Auriez-vous deux minutes pour une étude comparative sur des crèmes solaires ? Ces gens-là étaient tellement désespérés qu’ils venaient s’adresser à un pauvre type comme moi. Mais je réalisais aussi que j’étais le seul à prendre mon temps, les autres allaient bien trop vite pour être contraint à faire une halte.
Je commençais réellement à fondre sous ce soleil éreintant et la lumière de plus en plus vive contrastait avec mes idées noires. Mon état de fatigue extrême était tel que les gens qui me regardaient se ramollissaient à vue d’œil et l’on pouvait lire une certaine pitié dans leur regard.
Je décidais alors de rentrer chez moi au plus vite et me fondit dans la foule en adoptant son train de vie l’espace d’un instant. En 33 secondes et cinq centièmes, je regagnais ma piaule et me dis que l’oisiveté en pleine journée était un boulot très difficile.

jeudi 18 décembre 2008

Cria Cuervos, Carlos Saura (1976)


Avec « Sonates d’Automne », le film de Carlos Saura est certainement le meilleur drame familial réalisé à ce jour. Il est regrettable que le cinéma espagnol se soit orienté vers ce style « fantastico-horrifique » avec des scenarii quasiment identiques d’année en année, car la voie ouverte par Saura ne méritait pas mieux que d’être entretenue voire améliorée.


L’histoire en elle-même est assez simple : Ana a perdu sa mère alors qu’elle n’était qu’une fillette. Elle accuse son père de l’avoir fait souffrir et celui-ci meurt quelques temps après. La tutelle revient à la tante Paulina qui, bien que aimante, se montre très autoritaire. Ana ne supporte pas cet abus de pouvoir alors que ses sœurs semblent lui obéir et accepter la nouvelle situation. Ana va donc se créer son propre monde hanté par ses souvenirs et ses rêves afin d’échapper à la réalité.


Dès les premières images, on entre dans une atmosphère froide et oppressante. Les images fades et l’absence de bande-son (hormis la chanson « Porque Te Vas ») viennent apporter un réalisme dérangeant et malsain. Les mouvements de caméras sont rares et les nombreux plans fixes sur les personnages font ressortir ce qu’il y a de plus intime en eux. Le spectateur perçoit ainsi la moindre expression et devient de plus en plus vulnérable au fil du temps pour finalement se prendre une claque monumentale à la fin du film.


« Cria Cuervos » sonne un peu comme une fable tragique sur l’Enfance. Le Temps perd toute sa logique pour venir accoler des évènements, qui les uns à côté des autres, donnent un sens plus concret à l’existence. La thèse du film, si l’on peut oser prononcer ce terme, serait l’impact des vices du monde adulte sur la naïveté de l’Enfance. Ana, qui a vu ses deux parents partir, associe la mort à une vengeance mais aussi à une punition. La souffrance de sa mère engendrée par un mari infidèle et absent, a radicalisé la pensée d’Ana. La mort, en plus d’être une échappatoire, est devenue une formalité sans grande importance et c’est là le fil conducteur du film. A chaque fois qu’Ana revient à la réalité, c’est pour vouloir la mort de quelqu’un, que ce soit dans son intérêt ou dans celui d’autrui.


Mais en parallèle de cette cruauté involontaire, les souvenirs et les rêves passés en compagnie de sa mère sont d’une extrême douceur et dépeignent un paradis perdu plein de nostalgie. Ces passages oniriques ne sont pas complètement déconnectés de la réalité, l’esprit d’Ana les mêle à sa situation présente. La fillette imagine ce que serait son quotidien en présence de sa mère et au bout du compte accepte bien mieux son existence. Saura explore ici toute la psychologie humaine face aux drames qui nous pourrissent l’existence. Certes il montre comment un psychopathe peut faire surface mais il met en avant l’importance de l’imagination qui permet d’immortaliser ce qui nous donne l’espoir de vivre.


Au final, un chef-d’œuvre, peut-être le meilleur film de tous les temps, mélangeant plusieurs styles (fantastique, drame psychologique), qui du fait de sa simplicité nous permet de mener une réflexion constructive tout en rentrant entièrement dedans. Indispensable.

vendredi 5 décembre 2008

Le Sacrifice, Tarkovski (1986)


A la fois journaliste, critique et auteur dramatique, Alexandre est présenté comme un érudit. Cultivé et intelligent, il arrive à un stade de sa vie où le questionnement intérieur prend le dessus sur l’enchaînement des situations quotidiennes. Le jour de son anniversaire, une troisième guerre mondiale nucléaire est annoncée. Les prévisions apocalyptiques à venir vont accentuer la crise interne dans laquelle il s’est plongé et ce dernier décide de se sacrifier, en reniant tout bien matériel, afin de sauver l’humanité. Simple rêve ou réalité loufoque ? Alexandra réussit à ramener la paix mais pas à évincer le matérialisme qui reprend de plus belle.

Ultime film d’Andrei Tarkovski, « Le Sacrifice » dévoile la souffrance profonde vécue par le réalisateur à l’approche de sa mort. Or cette souffrance, certes personnelle, n’est pas propre à sa personne mais plutôt à l’Humanité qui prend une tournure matérialiste arrivant à en oublier la notion d’individu. Prétextant une troisième guerre mondiale, il place l’Homme face à une question existentielle et non plus matérielle. Il est plus important de sauver sa peau que son écran plat et donc on s’interroge tant sur l’avenir de l’Humanité que sur le devenir de notre propre personne.

Le principal fléau selon Tarkovski serait la parole. La citation « Au commencement était le Verbe » clôturant le film dénonce les vices cachés de la rhétorique. La parole, initialement prévue pour communiquer, a troqué son habit de sincérité contre un treillis et des rangers. D’un simple échange humain elle est devenue un flux d’informations pré-mâchées visant à acquérir une contrepartie et non plus un retour de même nature. Dans le film, Alexandre ne peut plus assumer son rôle de comédien car il n’arrive plus à trouver la sincérité pour endosser le rôle de ses personnages. Cette matérialisation de la parole a institué une hiérarchie peu révélatrice de l’état spirituel d’une société et a même pondéré son importance selon le niveau social auquel on se trouve.

Le matériel, et le confort qu’il apporte, est la deuxième plaie de l’Humanité selon le cinéaste. « Puisqu’il n’est pas nécessaire, il s’agit d’un péché ». Le progrès scientifique est toujours employé de manière erronée pour finalement devenir le bras droit de l’injustice. "Le microscope est utilisé comme une massue". Pour Tarkovski, il faudrait mettre en avant l’irrationnel en multipliant les actes inutiles afin d’accepter sa fragilité face à la mort et au temps, mais aussi de placer l’Homme au-dessus de sa tâche dans un but thérapeutique.

Comme dans tout film prophétique réussi, les références religieuses sont nombreuses. La longue Pénitence d’Alexandre, sa purification, sa perte de rationalité par le don de sa personne, le tableau de l’adoration des mages de Léonard de Vinci,… en constituent quelques exemples parmi les nombreux autres. Mais Tarkovski, sachant qu’il réalisait là son dernier film, a mis l’accent sur son aspect esthétique. Le jeu de lumière, tout en dégradé, offre des séquences pittoresques semblables à des peintures mouvantes. Les couleurs, délavées juste comme il le faut, ne sont jamais scintillantes et paraissent mélangées les unes aux autres. Elles reflètent l’abstraction qu’exerce l’environnement extérieur sur l’Homme. Enfin l'alternance de la couleur et du noir et blanc illustre une continuité entre une chair périssable et une âme éternelle.

Au final, le film testamentaire de Tarkovski est d’une pureté esthétique telle qu’on la regrette lorsqu’on en sort. Mais cette pureté, loin d’être naïve, vient amplifier le message alarmiste sur le devenir spirituel de l’Humanité qui s’aveugle, se ment et se noie peu à peu dans le matérialisme. Un chef-d’œuvre.

Une obligation pour ceux qui en auraient envie : L’ultime entretien de Tarkovski où il nous dévoile avec une intelligente simplicité sa vision du monde.

http://www.nouvellescles.com/article.php3?id_article=666

mercredi 3 décembre 2008

L'Eternité et un jour, Angelopoulos

Un paysage plongé dans la grisaille, un portrait morose et délavé d’une Grèce sur le déclin et une musique triste à mourir, pas de doute on regarde bien un film d’Angelopoulos. Peut-être plus grand public que ses films précédents, « L’Eternité et un jour » continue de suivre ces personnages insolites perdus dans le tourbillon de la vie. Alexandre, écrivain célèbre, est atteint d’un cancer, il doit rentrer à l’hôpital pour mourir. On suit alors sa dernière journée où il rencontre un petit clandestin albanais et se remémore son passé.
L’espace et le temps ne font plus qu’un, l’infini côtoie l’éternel et tout s’arrête pendant près de deux heures. Alexandre voit la vie mais aussi sa vie dans les yeux du petit clandestin et la misère n’est ici qu’un simple facteur de rapprochement entre les deux êtres. Il revoit sa femme partie trop tôt comme ses enfants qui grandissent et se marient, sa distance qui a fait de lui un père absent mais aussi sa villa de bord de plage qui va être détruite, les temps se mélangent mais gardent une certaine cohésion pour finalement aboutir à une véritable thérapie. Alexandre visualise ses erreurs et sent naître en lui un espoir : l’Eternité. Tout peut se rattraper, rien n’est définitif,que ce soit dans les faits ou dans la tête, il suffit seulement de le vouloir et de prendre le temps, même lorsque la fin est proche. « Il faut trouver de nouveaux mots » propres à son existence et reconstruire avec un langage neuf tout ce que l’on a jadis connu et qui n’est plus.
Mais en dépit de cette volonté d’écarter le temps, Angelopoulos se place en cinéaste engagé en faisant émerger en nous une certaine compassion envers les clandestins. Il évoque un fléau qui est plus que d’actualité, de notre temps. Il nous offre d’ailleurs une scène d’anthologie à ce propos en filmant des clandestins disposés comme des notes de musique sur des barbelés à la frontière entre l’Albanie et la Grèce. L’atmosphère qu’il réussit à y installer est des plus froides et fait amèrement penser à la période nazie.
Les jeux de regards sont également très évocateurs. Alexandre, père de famille qui s’éteint dans un monde qui ne lui plait guère arbore une position voûtée et déclinante, pleine de dégoût et de nostalgie. Le petit clandestin, lui, a toujours les yeux portés vers les personnes qui l’entourent, il observe attentivement les événements qui se déroulent autour de lui, il se construit sur les ruines qu’observe Alexandre. Putain ya la scène du bus aussi qui est géniale !!!!!!!
Enfin, l’une des principales forces de ce film c’est aussi ce contraste entre le décor et l’histoire qui vient s’y greffée. Cette dernière est pleine de blessures mais fait sans cesse appel à des rapports humains, qu’ils soient passés où actuels. Les événements s'emboitent les uns dans les autres pour donner lieu à de nombreux rebondissements. En revanche, le paysage que Angelopoulos nous montre semble immuable comme si il était voué à péricliter lentement sans jamais pouvoir se relever un jour.

Un bon jour pour mourir, Jim Harrison

Que reste-il lorsque la morale, l’envie de réussir et le sentiment d’appartenir à un peuple disparaissent ? Quelle est cette alchimie abstraite qui nous incite à entreprendre des projets jusque là inconnus ? Absence de personnalité rime-t-il toujours avec manque de lucidité ? Autant de zones d’ombres que ce petit chef-d’œuvre tente d’éclaircir.
« Un bon jour pour mourir » est tout d’abord un voyage. La finalité de ce périple est de faire sauter un barrage, symbole d’une civilisation qui cherche à dominer la Nature plus qu’à la contrôler. Parmi les acteurs de cette expédition, on retrouve Tim, un ancien du Vietnam, Sylvia, une beauté désespérément amoureuse de Tim et le narrateur (peut-être Harrison lui-même ?) fortement émoustillé par Sylvia. On comprend très vite que ce jeu de l’Amour à sens unique ne peut se solder que par un échec. Et pourtant, ces sentiments sont la base même de ce roman car ils en assurent la continuité et le réalisme. On comprend tout comme on accepte des situations loufoques lorsque l’amour s’empare des personnages. Car ce schéma, on peut l’appliquer à notre propre personne et le narrateur déshabille littéralement le lecteur au fur et à mesure que le récit avance. Il explore cette alchimie qui nous guide tout au long de notre existence nous faisant devenir ce que l’on n’est pas forcément. La notion d’influence prend ici une valeur contrastée car elle est le fruit d’une transformation personnelle teintée de lucidité. Le narrateur s’engage dans cette expédition sans réelle conviction mais aux yeux de ses acolytes il paraît motivé et déterminé. Seulement, dans son for intérieur il a conscience qu’il prend la mauvaise voie. L’amour pour Sylvia et la forte personnalité de Tim ont pris le dessus temporairement.
Pour ce qui est du style, il nous transforme en une véritable balle rebondissante. On explore l’Amérique vue du ciel, puis on s’immisce dans la vie privée des trois personnages, on remonte ensuite dans le passé de chacun,… le tout mélangeant phrases argotiques et passages poétiques sans aucun temps mort.
Enfin, Harrison a su crée un récit hybride, passant des bordels à une partie de pêche à la truite, de magnifiques paysages à un motel glauque ou encore de cuites au whisky à une préparation culinaire.
Au final, on se pose peut-être plus de questions à la fin de ce livre qu’avant de l’ouvrir mais le magnifique voyage qu’Harrison nous propose à travers l’Amérique mais aussi à travers l’Etre Humain vient comblé ce vide.

lundi 1 décembre 2008

...,Partie 5 et fin

De retour chez lui, Job élucida un mystère. Les excréments qu’il côtoyait tous les matins n’étaient autre que ceux de son chien qu’il ne faisait jamais sortir. Puis il sortit la bouteille de vin métaphysique qu’il gardait depuis des années et décida de l’entamer pour stimuler un peu son cerveau. Après deux verres, il ressortit cette vieille photographie mais trouva son regard d’enfant changé. Loin d’être naïf, le sourire du petit Job était devenu serein, comme s’il prédisait une vie oisive à venir. Peut-être est-ce sa laideur qui le confortait dans cette pensée-là ? Une personne ignoble ne peut que vivre de manière oisive puisqu’elle est incapable de supporter les remarques des autres. Puis il se braqua et se dit qu’il n’avait en aucun cas choisi sa vie, il en avait été évincé par les gens normaux. Toute la logique du psychopathe commençait à prendre forme dans sa tête et le quatrième verre de vin méta lui fût fatal. Il descendit chez sa voisine diabétique du dessous et lui vola une énorme seringue qu’il remplit de vin. Il déboula dans la rue et se mit à piquer tous les gens normaux qu’il rencontrait. Au bout d’une demi heure, la moitié de la ville était bourrée et plongeait dans la débauche la plus abjecte. Job s’injecta le reste de vin que contenait encore la seringue et grimpa sur le clocher de la plus grande cathédrale de la ville. Le spectacle était tout de même beau à voir de là-haut. Les visages décomposés des gens normaux étaient semblables à ceux d’enfants qui se découvrent une passion. Ils commencèrent à casser des vitres, à arracher des panneaux et à se gerber dessus. Job profita encore un instant de cette mise en scène éblouissante mais ne tarda pas à rentrer chez lui car il commençait à apercevoir des morceaux de bois remplacer la tête de ces alcooliques involontaires, ce qui prédisait un retour vers la normalité.
Job trouva son appartement bien petit lorsqu’il fût à l’intérieur. Il dût ramper pour arriver jusqu’à son matelas et bientôt ne pût plus du tout en bouger. Le plafond se transforma en miroir et Job put observer son visage d’une maigreur inhumaine. Il réalisa qu’à force de boire il mourait de faim.
Dans sa tête, Job s’éteignait sans laisser de traces. Pourtant, ce jour-là devint « la fête du vin métaphysique » et chaque année des alcooliques du monde entier se rassemblaient, transformant la ville en un grand terrain de jeu et de débauche, l’espace d’un soir.

..., Partie 4

Le soleil avait refait son apparition et Job découvrit là une sensation nouvelle : l’ivresse de jour. Il ressentait une terrible envie de s’amuser mais fût très vite aigri par ce qu’il aperçut autour de lui. De petits groupes d’humains tournaient en rond, un code-barres plaqué sur le front, et paraissaient aller de plus en plus vite. Au fur et à mesure qu’ils effectuaient leurs cercles, leur apparence changeait. Ceux qui couraient le plus vite étaient de mieux en mieux habillés et arboraient un sourire satisfait, alors que les derniers prenaient une balle dans la tête. Job, finalement indifférent à ce spectacle, se dirigea vers une ruelle peu fréquentée. La pancarte indiquant le nom de la rue était cachée par un amas de poussière et notre acolyte, au moyen d’un lampadaire arraché à proximité, fit apparaître un nom curieux : L’alcool de la vie.
Semblable à une galerie de musée, la ruelle présentait différents personnages atypiques. Le premier était un oiseau sans pattes qui restait dans les airs tout en sachant que le jour où il se poserait ce serait la fin. Job discuta un moment avec lui et en le quittant il eut l’impression d’avoir fait le tour du monde. La seconde rencontre fut des plus étranges. Un homme sans tête, entouré de livres était assis sur le bord du trottoir. Les livres parlaient à sa place et laissaient apparaître un profond désespoir : « ma vie est un échec, je suis un bon à rien. Lorsque j’ai découvert le pouvoir des mots, la lecture est devenue une obsession, je pensais trouver là une force et n’y ai trouvé qu’une perte de personnalité. Les livres m’ont absorbé, je n’ai plus d’âme ni d’opinions. Ma vie est celle des autres. » Job versa une larme et continua son chemin. Avant de sortir de la rue, il se heurta à une lanterne qui ne s’allumait qu’en journée. Il lui fallu un moment avant d’apercevoir la lumière que générait celle-ci. Le brouillard qui entourait sa tête n’était pas là pour arranger les choses. Le pied de la lanterne était d’une saleté effrayante, on sentait que Job n’était pas le premier à avoir heurté ce lampadaire. Mais plus il levait les yeux plus cette crasse disparaissait pour finalement capter en son sommet une lumière d’une pureté dérangeante. Job sorti de cette ruelle avec l’impression d’avoir reçu une leçon qu’il assimilerait plus tard.
Il alla s’asseoir sur les marches d’une église et contempla un accordéoniste qui chantait seul avec son accordéon…

mardi 25 novembre 2008

Job, zonard d'intérieur Partie 3

Il décida donc de sortir au grand jour, ce qui ne lui arrivait que très rarement. Sur la route qui faisait face à son immeuble, d’ordinaire très fréquentée, il découvrit un spectacle loufoque. Une immense table ronde était posée à cheval sur les deux voies et autour de celle-ci se trouvait une multitude de personnes en train de boire à l’aide d’un système ingénieux qui leur évitait tout effort inutile. Plus Job s’approchait de la cène, plus il entendait des discours à sens unique. Personne ne s’écoutait, chacun était parti dans son trip, ne se parlant qu'à soi-même et se taisant uniquement pour boire le vin contenu dans un tonneau au centre de la table au moyen d’un tuyau d’arrosage. Les acolytes parlaient de Culture, une kalachnikov à la main, et prenaient par moment un ton menaçant qui effrayait la plupart des curieux. Job, malgré quelques appréhensions, se joignit à eux et bizarrement, son unique présence appela les congénères à retrouver leur calme.
Avant de prononcer la moindre parole, Job aspira dans le tuyau mis à sa disposition et reconnut là un vin semi-métaphysique qui lui ferait volontiers son repas de midi. Puis il s’aperçut très vite qu’il avait affaire à des notables qui discutaient là l’ordre du monde pour les autres, mais resta quand même car ce vin l’enrichissait de gorgée en gorgée. Les discours étaient devenus très ordonnés et un chien venu de nulle part distribuait la parole à chacun. Job, qui n’avait que ça à faire, écouta ces êtres étranges prononcer leurs vœux. Le premier exposa son point de vue : « Quelle est le rôle de la Culture sinon le contrôle des masses ignorantes ? Occuper le temps libre de ces gens est une nécessité mais le contrôler n’en reste pas moins une obligation ! Nous avons fait taire les élites bien pensantes en noyant l’individu lambda dans une mer d’informations. Tout est accessible aujourd’hui, n’importe qui est en mesure d’accéder aussi bien à des contenus intellectuels qu’aux contenus que l’on préconise. Nos opposants s’époumonent afin d’orienter les masses vers ce qu’ils pensent être un bienfait mais ne comprennent pas qu’ils ont perdu le combat depuis longtemps. L’Etre Humain est désormais corrompu dès sa naissance, seuls quelques électrons libres subsistent mais se sentent rejetés tant les individus qui les entourent semblent différents. Nous avons gagné ! Trinquons à notre victoire !! »
Tout le monde applaudissait sauf un petit individu frêle et discret qui paraissait en pleine réfléxion. Il se leva, pissa sur la table, et entama son discours : « Tout d’abord, sachez que je vous emmerde, je tenais à préciser cela avant de commencer. Je vous trouve particulièrement optimiste sur votre victoire, car il me semble que vous ne connaissez pas votre peuple. Vous pensez le maîtriser car il vient déposer un morceau de papier, dont il ignore l’identité profonde, dans une urne. Tout le monde possède sa propre culture mais celle-ci vous échappe. Vous croyez asservir une population mais ce n’est qu’une image. Certes vous tenez les rênes, vous ETES AU POUVOIR, mais ce n’est pas une victoire. Je milite pour que cette culture émerge en parallèle de la votre et j’y parviendrai. Quand je serai au pouvoir vous verrez comme les choses changeront, les gens seront heureux !! » Le petit homme frêle s’applaudit tout seul et seul le chien paraissait enthousiaste en remuant la queue.
Les regards se portèrent sur Job qui sentait son tour venir. Déjà un peu saoul, il se lança alors dans son rôle de tribun: « Tout d’abord buvez !!! Je veux voir le fond de ce tonneau !! Il faut que vous vous détachiez de vos vies, que vous redeveniez ces êtres humains que vous avez peut-être été un jour ! » Le tonneau gargouilla très vite et le fond laissa apparaître une phrase « made in China ». L’Euphorie et les blagues vaseuses prirent le dessus sur les discours ringards entendus auparavant. Bien qu’il fût à peine midi, la nuit tomba et la vraie faune fit son apparition. La route se transforma en un tapis roulant et la ville commença à défiler devant eux. Loin détenir la vérité, Job se lança dans un simple commentaire : « Que voyez-vous défiler devant vous ? Connaissez-vous ces gens, avez-vous eu déjà affaire à eux ? Regardez ce groupe de jeunes qui chante des artistes sur lesquels vous n’avez aucune emprise, croyez-vous qu’ils s’intéressent à vos balivernes ? Ces jeunes qui font un concours de 8.6 en ont-ils quelque chose à faire de votre culture ? Voyez-vous ce couple en train de faire sa petite affaire devant l’entrée de la cathédrale ? Les véritables valeurs humaines se trouvent ici et nulle part ailleurs. La culture ne pourra jamais être imposée, quelque soit sa nature. Elle démarre d’une rencontre ou d’une passion et cela vous ne parviendrez jamais à l’empêcher. Quand vous serez vieux et que vous vous retournerez sur votre parcours, vous n’y verrez que des situations, des jolis voyages et une femme qui vous aura fait porter de nombreuses paires de cornes. L’Ambition vous aura fait passer à côté de la vie. Je ne dis pas ça pour vous, mais pour vos enfants. Faites les dégénérer avant qu’ils ne suivent votre exemple !! Sur ce, la visite est terminée, je ne suis pas assez saoul pour supporter votre présence plus longtemps. » Lorsque Job les regarda une dernière fois avant de partir, les notables dormaient tous la tête sur la table, une flaque de gerbe les berçaient doucement…

lundi 24 novembre 2008

Job, zonard d'intérieur Partie 2

C'est ainsi que Job devint peu à peu sociable. D'un simple dialogue quotidien avec l'épicier du coin visant à acquérir de la matière socialisante au moyen de billets donnés allègrement par l'Etat, il en était arrivé à discuter avec tous les marginaux qu'il venait à rencontrer au fil de ses échappées nocturnes. Son esprit très vif lui permettait de distinguer les personnes intéressantes des étudiants qui se prenaient une cuite par semaine tout en se la jouant alcoolique. Par moment, quand les substances ingérées le transformaient en quelqu'un d'autre, il aimait discuter avec ces derniers dans le but de les choquer. Son éducation perverse était devenue une arme, voire une utilité dans certains cas. Combien d'alcoloétudiants avaient fini par gerber devant lui à force d'écouter ses propos extrêmes et à chaque fois un petit sourire sadique et satisfait se dessinait sur son visage.
En revanche, il aimait se dévoiler et parler de ses angoisses profondes lorsqu’il rencontrait des personnages haut en couleurs. Parmi eux, on trouvait de nombreux SDF bien sûr mais aussi des jeunes vieux qui n’avaient pu ou voulu se sortir de convictions trop extrêmes. Un soir, Job avait partagé sa bouteille avec un vieux zonard d’une trentaine d’année. Ce dernier avait tatoué les évènements marquants de sa vie sur l’ensemble de son corps. Bien que difficile d’accès dans un premier temps, la bouteille de vin rouge l’incita peu à peu à se dévoiler. Entre les prénoms de ses chiens, de ses aventures d’un soir et de ses potes partis trop tôt, on distinguait des paysages moroses sur ses avant-bras. Il disait s’être fait ça avec la seringue de la veille lorsque la descente devenait trop dure à gérer. Comme s’il fallait imprimer sur sa peau ce que l’on aimerait oublier. Job l’écoutait attentivement même s’il ne parvenait pas à comprendre tous les propos de cet être marginal.
L’univers de la drogue n’avait jamais attiré notre RMIste assidu. En effet il se complaisait dans l’alcool et le tabac car il y trouvait toute la folie nécessaire à sa survie. C’est d’ailleurs grâce au vin rouge qu’il rencontrât un soir la « femme » (c’est comme ça qu’il la nomma tout au long de sa relation avec elle) qui devait partager un bout de vie avec lui avant qu’il ne la remplace par l’amour d’un chien, bien plus fidèle et durable. Mais ce que Job préférait par-dessus tout c’était les gueules de bois. Elles lui apportaient une grande lucidité et l’amenaient à réfléchir sur lui-même tout en le confortant dans son alcoolisme. Il réalisait combien embrasser une carrière était ridicule et vide de sens. A quoi bon progresser puisque l’on chute à la fin ? L’essentiel pour lui résidait dans l’enrichissement de sa propre personne, par l’Art en particulier, même si cela faisait naître en lui une crise existentielle de plus en plus tenace. Il vivait en quelque sorte une existence intemporelle et quand on lui disait qu’il profitait du système, il répondait « faites comme moi, vous ne tiendrez pas un mois avant de rejoindre le rang ».
Pourtant Job n’était pas heureux, alors que tous les cons qui l’entouraient paraissaient l’être. Un Homme heureux serait-il un homme qui travaille et ne se pose pas de questions ? C’est du moins ce qu’il pensait car le travail permet de rythmer sa vie sur des choses concrètes et donc non immuables. L’espoir de réussir sa vie enlève toute réflexion sur l’existence même, ce à quoi l’oisif ne peut s’empêcher de penser constamment. Au bout du compte, il ne resterait que deux issues, travailler en restant con ou finir dépressif en réfléchissant au vide de la vie. Job était donc voué à virer dépressif, il fallait donc qu’il se trouve quelque chose à faire mais qui ne ressemblerait en aucun cas à du travail…

Job, zonard d'intérieur Partie 1


Il devait certainement être très tard lorsque Job s'éveilla. Sa tête lui faisait affreusement mal et une envie de gerber remontait du plus profond de ses entrailles. Il se demandait ce qu'il pouvait encore rester dans son ventre lorsqu'il découvrit les multiples tas d'excréments qui peuplaient son appartement. Pourtant il ne mangeait quasiment rien, il se nourrissait essentiellement de bière et de vin rouge et chaque réveil était pour lui un mystère. D'où sortaient tous ces aliments digérés qui venaient couvrir le sol dont il avait depuis longtemps oublier la couleur?
Dans cette déchetterie, la seule chose qu'il tentait de préserver était cette vieille photographie où on le voyait encore jeune entouré de sa famille. On pouvait y aperçevoir un sourire qui en disait long sur sa naïveté de l'époque. En réalité, il n'accordait aucune valeur à ce portrait mais il cherchait en vain depuis des années à comprendre pourquoi sa vie avait évoluée de cette manière là. Certes, il avait un visage relativement hideux qui l'amener à penser qu'il n'y avait pas que de l'humain en lui. Dans son enfance, ses "amis" le surnommaient "Le Chat" tant son faciès prenait les formes de cet animal inutile: oreilles en pointe, petites moustaches précoces en éventail et surtout de petits "MIAOU!" qu'il lançait pendant son sommeil d'après les dires de sa mère. Ce physique qui ne l'avantageait pas l'avait très vite écarté de toute vie sociale. Les quolibets des jeunes de son âge, les remarques désobligeantes des adultes et les filles qui lui tournaient le dos lui apprirent très vite à vivre seul de manière autonome.
C'est au moment de l'adolescence, âge où tout le monde se cherche, qu'il se trouvât enfin. Il comprit qu'il n'était pas fait pour vivre en société et se créa son univers à lui tout seul. Sa réclusion l'avait mené dans un premier temps à explorer toute forme de perversion à travers les écrits d'auteurs peu fréquentables. Il sentait un bien-être l'envahir au fil des lignes et se réjouissait de ces multiples tortures auxquelles s'adonnait cette Race Humaine devenue méprisable à ses yeux.
Cette orientation dura jusqu'à ses vingt-cinq ans, âge légal où l'on peut vivre de manière autonome (Cela le faisait d'ailleurs rire quand il pensait à son prénom, comme si ses parents lui avaient indiqué ,de manière ironique, la voie de l'oisiveté). En effet,cette période perverse commençait à le lasser, il ressentait le besoin de partager des choses avec ces sortes de bipèdes qu'il observait de temps en temps caché derrière sa fenêtre. Il décida donc de faire quelques virées nocturnes dans la rue pour les y rencontrer mais il ne pouvait sortir à jeun et envisagea tout d'abord de se familiariser avec l'alcool...

jeudi 16 octobre 2008

Charlie-Hebdo est mort! Vive Siné-Hebdo!!

"Charlie-Hebdo" fut jadis un très bon journal. Dans la lignée de "l'Assiette au Beurre", il mêlait allègrement la caricature au texte politique et culturel. Mais depuis quelques temps, le journal et plus particulièrement son directeur en chef Philippe Val, a pris une orientation commerciale qui a nuit à sa qualité. La liberté d'expression en a pris un coup et le dessinateur ( au combien talentueux!) Siné en a fait les frais. Ce dernier a décidé de lancer un journal du même accabit que le fameux "Hara-Kiri". Bien que moins marginal et plus moderne, "Siné-Hebdo" n'en reste pas moins corrosif et sans tabou. Doté d'une équipe plutôt hétéroclite (Michel Onfray, Noël Gaudin, Jackie Berroyer, quelques personnes de Groland, Christophe Alevêque, ...), le journal traite de tous les sujets mais toujours avec cet humour bête et méchant qui nous fait rire des choses les plus pathétiques et malsaines possibles...
Bref Siné-Hebdo, c'est deux euros une fois par semaine. Mais comme disait Choron: "Si vous avez du fric achetez Siné-Hebdo, sinon volez-le!"

La Marseillaise même en Reggae...

Et voilà c'est reparti, la Marseillaise vient d'être sifflée au cours du match amical(?) France-Tunisie. Tous les politiques, Sarkozy en tête, s'invitent sur les plateaux pour crier au scandale. "Il s'agit, voyez-vous, de respecter la République Française [...], on ne va pas baisser le froc devant une poignée de jeunes à casquette blanche. La prochaine fois que cela se reproduit c'est carton rouge pour tout le public même si la majorité n'y est pour rien". Décidemment la France est dirigée par des gens de plus en plus pathétiques et sournois. Que se soit des émeutes en banlieues, des règlements de comptes entre bandes rivales ou des problèmes de racisme, on semble à chaque fois redécouvrir cette frange de la population qui n'est plus intégrée depuis maintenant quelques décennies. La France, qui a connu des périodes très fructueuses dans le domaines des idées et des avancées sociales n'en a pas moins raté totalement son intégration. Le temps mais aussi la flemme m'empêchent de décrire ici cette erreur spécifiquement française. En quelques mots, on pourrait dire que depuis la Deuxième Guerre Mondiale et les conséquences engendrées sur les Colonies françaises, s'est formée une caste marginale refusant toute identification à la Société Française, notez ici la Majuscule signifiant la France comme entité étatique et non pas culturelle. Cette marginalisation, aidée par l'exploitation et la religion, s'est peu à peu transformée en Résistance mais toujours envers une forme de pouvoir. Le paroxysme étant, comme nous le savons tous la Guerre d'Algérie, considérée comme un évènement jusqu'en 1999. Puis vient le plus gros de l'immigration Magréhbine car la France a besoin de main-d'oeuvre pour les grands travaux qu'elle entreprend. Les deuxièmes générations comme "Slimane qui a 15 ans et qui vit chez ses vieux à la Courneuve", se sentent abandonnées car ils ne retrouvent aucune de leurs racines dans la société française. Leur histoire commence avec l'immigration de leurs parents c'est dire si le bagage culturel est pauvre. De plus, l'exemple de Papa qui trime toute la semaine et qui arrive tout juste à nourrir sa famille ne va pas en arrangeant les choses. Quelles opportunités a eu Slimane pour s'intégrer? Pourquoi la France a arborée un visage si blanc pendant toutes ces années de forte immigration?
De génération en génération, on a vu cette marginalisation englober la composante culturelle et ces jeunes se sont refermés sur eux-même. La haine envers l'Etat s'est petit à petit transformée en une haine contre un peuple, les blancs parce que c'est de leur faute mais aussi les Juifs parce qu'ils sont pas sympas en Palestine.
Bref les jeunes qui sifflent la Marseillaise aujourd'hui, sans forcément savoir pourquoi, héritent de cette erreur française qui n'est pas nouvelle. Ce sont des victimes, il faut le répéter, mais pas à la manière de la gauche qui a littéralement menée une politique de forme et non de fond face à cette fracture grandissante. Les socialistes se sont imaginés qu'en proposant des aides sociales ils allaient résoudre le problème et ne se sont pas soucier de la question identitaire: manuels scolaires, métissages médiatiques et politiques, politique répréssive,...
Ce n'est pas par la répression que l'on atténuera ce problème. Le contexte ( traque des sans-papiers, retour du religieux sur le domaine laïc, importance de plus en plus grande de partis foireux comme SOS Racisme ou le MRAP,... ) en donne déjà de nombreux exemples. La répression donne l'impression de maitrîser le problème pour les observateurs extérieurs mais ne fait que l'accroître pour les concernés. La question éducative et culturelle semble être la seule issue mais la volonté n'est pas encore arrivée...

vendredi 26 septembre 2008

L'Age des Possibles, Pascale Ferran (1995)

Avec son côté romantico-intello et ses acteurs ressemblant à Monsieur tout le monde, "l'Age des Possibles" fait penser dans un premier temps à du Eric Rohmer. Mais après quelques moments passées en compagnie de ces personnages au combien réalistes, on se rend compte que c'est juste mille fois mieux. On entre très vite en osmose avec ces personnages qui vivent un peu la même vie que la notre. La plupart ont environ vingt-cinq ans, l'Age d'Or d'après ce que l'on dit. Mais la réalisatrice met en avant la situation instable de ces jeunes adultes. Elle montre que la transition vers le monde adulte n'est pas facile. C'est l'heure des engagements tant sur le plan professionnel que sur le plan amoureux.
Globalement, le film dresse un portrait plutôt noir en montrant le côté éphémère des choses qui se perpétue à l'âge adulte. Il brise cette barrière entre le monde de la jeunesse et celui de la stabilité en montrant que rien ne change mis à part des obligations que l'on se fixe parce que l'on a atteint un certain âge. Mais il décrit aussi très brillamment cette liberté de choix qu'ont les jeunes aujourd'hui contrairement aux générations précédentes et cela du fait des progrès technologiques mais aussi sociaux. Et au final, on ressent une certaine solitude chez ces jeunes, leur relations sont soit superficielles soit éphémères. On expérimente des relations sexuelles loufoques, on réalise des enquêtes dans la rue en attendant de faire le boulot dont on rêve, on se ment à soi-même afin de se plonger dans un rêve artificiel...
En ce qui concerne la forme, Pascale Ferran a reçu de nombreuses contraintes par rapport à ce film. C''est un peu comme le label Dogma que l'on retrouve dans les films de Lars Von Trier ou de Moodysson. Cela aboutit donc à un film très simple et très intime qui nous permet d'observer les personnages dans ce qu'ils ont de plus profond.
Un film qui doit certainement toucher davantage les classes moyennes que les pauvres qui n'ont pas le temps de choisir ou les riches qui n'ont pas à choisir (oui j'ai toujours eu un petit faible pour les clichés!). Malgré son côté "Hélène et les garçons" version intello, "L'Age des Possibles" est dans son ensemble assez dur et les quelques scènes positives ne parviennent pas à combler ce vide existentiel dans lequel nous plongent les personnages. Un film étrange.

jeudi 25 septembre 2008

Good Morning Babylonia, Paolo & Vittorio Taviani (1987)

Nicola et Andrea, rénovateurs de monuments historiques, tentent d'aller gagner leur vie en Amérique, perçue comme lieu de réussite sociale en ce début de XXème siècle. Au bout de quelques jours déjà, c'est la désillusion et les deux frères enchaînent les travaux saisonniers les plus avilissants, jusqu'au jour où ils rencontrent le célèbre réalisateur Griffith, en plein tournage de son pamphlet pacifiste "Intolérance". Celui-ci, décide de les embaucher pour réaliser les décors de son film et les deux frères, par la même occasion, font la connaissance de deux figurantes...
Mélangeant allègrement le cinéma italien au cinéma américain, les frères Taviani immortalisent une époque: celle de l'Amérique à la veille de la Première Guerre Mondiale. Ne se limitant pas à la simple histoire de "deux Italiens en Amérique", "Good Morning Babylonia" analyse la mentalité ainsi que la composition hétéroclite de la population américaine. En plus de suivre le trajet de deux immigrants en quête de réussite sociale, on observe la façon dont les italiens sont perçus en Amérique. Et c'est d'ailleurs de ce sujet que traite une des scènes les plus réussies du film. Les deux frères, qui voient leur peuple se faire traiter de voleurs et de fainéants, répliquent en énonçant "qu'ils sont les fils des fils des fils de Michel-Ange et se demandent de quelles racines peut se revendiquer le peuple américain, terre d'opportunistes qui a effacé toute forme de culture ancestrale?"
Le film porte également en grande partie sur le milieu du cinéma, mais celui-ci est plus observé d'un point de vue extérieur. Dans un contexte conflictuel, on constate ainsi l'influence d'un cinéma pacifiste mais aussi ses limites qui sont souvent établies par l'usage de la force.
Enfin, la forme est très originale car elle mélange les styles. La musique ainsi que la façon dont est filmée la foule fait parfois penser aux premiers films de Fellini. Mais "Good Morning Babylonia" rajoute un côté plus intimiste, filmant les personnages de façon plus personnelle en évoquant leur blessures passées, tout cela de manière très artistique et poétique.
Un bon film.

mercredi 24 septembre 2008

Ordet, Dreyer (1955)

Chez Dreyer, l'ambiance est spéciale. Les personnages gardent la plupart du temps un visage stoïque et tout se passe dans le regard. Dans "La passion de Jeanne d'Arc", c'était le trop-plein de foi qui faisait défaut à la pucelle alors que dans "Ordet", un des sujets principaux serait le manque de foi ou du moins la recherche de la vraie foi. Les personnages ont tous un rapport à la foi différent. Le grand-père semble prier quand le besoin s'en fait sentir et paraît plus attirer par une Croyance que par un Dieu; Johannes, après avoir étudié la théologie est devenu fou et se prend pour Jésus en tentant d'apporter la Parole Divine, le pasteur explique tout par Dieu alors que le médecin croit aux miracles mais à ceux de la science... bref tous les cas de figures sont présents. Mais la fin, qui semble délivrer un message est réellement abstraite et l'on ne sait si celui-ci est porteur d'espoir ou au contraire défaitiste. Mais ce qui est réussit, c'est ce retournement de situation: ceux que l'on croyait être fous ne le sont pas et la vision du spectateur est totalement inversée. Rien que pour cette scène, ce film vaut le coup d'être vu. Il est assez rare qu'un réalisateur parvienne si bien à changer la vision du spectateur.
Un film un peu lent et froid mais qui a été source d'inspiration pour de nombreux cinéastes comme Bregman, Bresson ou Truffaut (qui a repris la scène du cerceuil dans son film "La Chambre Verte").

A l'Est d'Eden, John Steinbeck

Long et passionnant voyage à travers l'Amérique au début du XXème siècle, "A l'Est d'Eden" est une oeuvre magistrale mettant en opposition le Bien et le Mal.
En effet, Steinbeck s'inspire du mythe d'Abel et Caïn pour dresser une psychologie du Mal. Il pense que l'Homme possède une Vertu de base qu'il conserve toute sa vie. Mais à cela vient s'accoler le Vice ou plutôt les Vices qui changent continuellement de visage pour tenter de corrompre la Vertu. Cela, l'auteur nous le fait ressentir en montrant que le Mal ne peut se comprendre, qu'il est inexplicable et aléatoire. En général, il est facile de vanter les qualités d'une personne en évoquant sa sensibilité, sa bravoure ou sa générosité mais comment expliquer sa cruauté? "A l'Est d'Eden" nous donne quelques éléments de réponse en "matérialisant" le mythe d'Abel et Caïn: l'individu a besoin de reconnaissance dès son plus jeune âge et s'il sent qu'il plaît moins que son voisin ou qu'il croit être d'une utilité moindre, le Vice prendra le dessus sur la Vertu. En gros, s'il l'on ne peut jouir de sa Vertu, on devient mauvais. C'est sur cette idée-là qu'est construit tout le récit à travers l'exemple d'Adam et Charles, deux frères, puis des deux jumeaux d'Adam, Aron et Caleb. Steinbeck écrit clairement que c'est le choix de traitement du père que va rendre l'un bon et l'autre mauvais. Il y a également Cathy, Mal incarné déguisé en Vertu, avec sa philosophie "qui bande le premier encule l'autre", profitant des faiblesses des autres pour les manipuler..."A l'Est d'Eden" c'est aussi cette comparaison entre le relationnel et les sentiments propres des personnages, et la réflexion est loin de s'arrêter là...
Mais le roman dépasse le cadre de la simple narration pour dresser un portrait de la vie des paysans en ce début de XXème siècle. On y apprend leur coutume mais surtout, fait majeur de cette desription, l'hermétisme à toute forme de culture lettrée. Les paysans possèdent une culture orale, en somme ils se contentent de transmettre leur savoir-faire. Mais Steinbeck se sert justement de cet argument pour montrer que l'Homme a besoin de culture en s'appuyant sur Samuel Hamilton, personnage haut en couleur, cultivé et intelligent.
Enfin, même le style d'écriture est excellent. On glisse sur les lignes et on ne tourne en rond à aucun moment. Steinbeck parvient à nous faire ingurgiter l'histoire d'une mulitude de personnages sans nous perdre une seule fois au cours de ces 700 pages. Il traite aussi, et c'est une des curiosités du roman, à égalité tous les personnages quel que soit leur importance et le lecteur assimile donc aussi bien les détails que l'histoire principale.
Au final, un livre qui se présente comme une fresque intemporelle et qui surprend par sa modernité tant au niveau de ses idées que de son écriture.

mardi 23 septembre 2008

Le Mari de la Coiffeuse, Patrice Leconte (1990)

"Le Mari de la Coiffeuse" ou "l'Art de faire un film sans scénario". Ce film, qui se passe à huis clos, sonne un peu comme un nanard au premier abord. Le début, racontant l'enfance du mari de la coiffeuse, fait un peu penser à "La Gloire de mon Père" d'Yves Robert. Puis très vite, on se dit qu'on va se faire chier, que le film va tourner en rond et finalement ça n'arrive pas. Leconte réussi à combler et même à construire quelque chose avec rien. Il y a une grande dimension onirique et nostalgique dans cette fiction, c'est en quelque sorte une leçon montrant qu'il vaut mieux garder de beaux rêves plutôt que de chercher à les réaliser car cela finit souvent mal.
Ajoutez un Jean Rochefort dans un de ses meilleurs rôles et vous ne pouvez que passer un bon et beau moment.

Les Nuits Fauves, Cyril Collard (1992)

Un film choc tourné de manière assez crue qui, bien que le sujet soit tentant (le SIDA), ne sombre jamais dans le pathos. Cyril Collard était un admirateur de Jean Genet et ça se ressent dans son art. Chantre de l'homosexualité, de la drogue et des milieux marginaux, il réalise ici une autobiographie touchante, jouant son propre rôle et n'ayant pas peur de montrer son côté le plus intime, et cela sans tabou. Le travelot, qui chante tout au long du film du Fréhel est un clin-d'oeil à "Divine" de Notre-Dame-des-fleurs écrit par Genet. Quant à Romane Bohringer, elle crève l'écran en nous livrant une prestation poignante et sans faute.
Un film certainement culte dans les milieux homosexuels marginaux qui sonne un peu comme le poème "Je ne voudrais pas crever" de Boris Vian: le minuteur est enclenché, la fin est proche, plutôt que de se lamenter profitons de la vie en s'adonnant à tous les plaisirs imaginables, tout en étant aigri par l'injustice qui nous touche.
C'est paradoxalement un message hédoniste qui ressort du film alors que pendant plus de deux heures règne une atmosphère plutôt sordide.
Enfin, toute la réflexion des "Nuits Fauves" est basée sur le désir et ses ambiguités et un tableau relativemennt exhaustif en est dressé. Cyril Collard avait besoin de faire ce film, ça se ressent. Malheureusement, il meurt du SIDA trois jour avant la consécration de son film aux Césars en 1993...

L'Apiculteur, Angelopoulos (1986)

Un film très simple d'un point de vue esthétique mais qui atteint, lorsque l'on prend le temps de l'apprécier, des sommets de profondeur. La métaphore de l'apiculteur, ne parvenant pas à trouver un endroit propice pour ses abeilles, est très originale et transforme vite le film en road-movie. Cet apiculteur, c'est d'abord un homme détruit, qui tente de rattraper voire de reconstruire son passé cultivant parallèlement un côté obscur pour le spectateur. Mais l'on apprend aussi qu'il a connu de bons moments dans sa vie et notamment avec ses amis que l'on aperçoit dans la seule scène presque joyeuse du film. Angelopoulos, en filmant la solitude extrême de cet homme, et en y accolant une scène nostalgique avec ses amis, aurait-il voulu mettre l'accent sur l'importance de l'amitié dans une vie? Ou décrirait-il les passions violentes qu'engendre l'éclatement d'une famille? Il y a certainement un peu des deux dans ce film et le flou poétique dans lequel nous laisse le réalisateur nous permet d'en penser ce que l'on veut...
Il faut aussi noter la remarquable interprétation de Marcello Mastroianni, qui met de côté toute sa notoriété pour endosser le rôle d'un homme humble et solitaire malgré lui. Cela est tellement réussi que l'on a l'impression d'observer un acteur inconnu.
Enfin, on retrouve ce portrait d'une Grèce délavée, grise et enneigée, bien loin des clichés que l'on peut avoir sur ce pays. Cela annonce la couleur de son prochain film "Paysage dans le Brouillard", excellent lui aussi.

vendredi 19 septembre 2008

Lola, Jacques Demy (1961)

Par une réalisation légère et intelligente, Demy parvient à aborder de manière originale des sujets souvent banals comme l'amour ou le mal de vivre. Bien que les sujets ne soient pas très joyeux, le réalisateur parvient à installer une atmosphère plutôt positive et le drame se retrouve déguisé en comédie. Tous les personnages ont leur propres problèmes mais tous, et c'est je pense le message principal du film, sont plongés dans une grande solitude: Cécile, plus connu sous le nom de "Lola", est abandonnée par son copain lorsqu'elle tombe enceinte et se retrouve seule pour élever son enfant; Roland Cassard, à force de rêver, n'a pas vu passer le temps et se retrouve paumé et sans aide; la petite Cécile commence à découvrir ce qu'est l'Amour avec un grand tas et que Celui-ci n'est pas éternel...
Le fil conducteur de "Lola" c'est aussi le Temps. Ce dernier est exploré sous toutes ses facettes et se présente tantôt comme un destructeur tantôt comme une lueur d'espoir.
Au final, un film drôlement noir qui accorde plus de place au destin qu'à la volonté de choisir sa vie.

Last Exit To Brooklyn, Hubert Selby

Dès les premières pages, on est très vite étonné par la puissance véhiculée par ce livre. Chaque phrase est un coup de poing dans la gueule et à la fois un voyage dans les ténèbres décrivant malheureusement la réalité. Usant d'un style argotique, mélangeant dialogues et prose dans la même phrase tout en racontant des histoires d' anthologie, Selby signe ici une oeuvre majeure. Tout au long de ces trois cent pages, ça pue le vice, l'alcool et la Benzédrine. On cherche en vain quelques traces d'amour et lorsque l'on en aperçoit la lueur c'est pour mieux retomber dans une violence sans concession, en somme une violence de fait que Selby n'explique pas mais décrit avec justesse.
"Last Exit To Brooklyn" n'est pas le genre de livre à rester longtemps sur la table de chevet à moins que ce soit pour en relire les passages cultissimes. Lorque l'on finit ce livre, bizarrement on ressent une impression de calme et alors on se met à réfléchir sur ce que l'on vient de vivre, car ce bouquin ne se lit pas mais se vit. L'auteur nous éclaire particulièrement sur le microcosme dans lesquels sont cloîtrer ces pauvres gens. Il en ressort un repli sur soi mais aussi un déversement de haine sur son voisin. Ainsi, les hommes, pour la plupart des oisifs ( souvent des pères de famille) font preuve d'une fierté parfois écoeurante, les femmes s'occupent des gosses en plus de leurs travails et les enfants se forment en bande et réitèrent ce que leur montre leurs parents. La boucle est bouclée, la situation paraît éternelle...
En ce qui concerne la construction du récit, elle met en avant de nombreuses oppositions. Tout d'abord au niveau des personnages. Georgie, le travelot sensible, arbore un côté crû mais est également passionné de poésie. Harry, le syndicaliste, se bat pour améliorer les conditions de travail de ses collègues, mais se comporte comme un salaud avec sa femme et a tendance à mener des luttes pour acquérir une certaine notoriété. Abraham, le black qui joue au dur mais qui se passe de la crème de beauté sur le visage quand il est chez lui,... Par ces exemples, Selby montre que l'homme est infiniment complexe et que ce que l'on croît connaître de la vie n'en est qu'une image tout le temps trompeuse. Il met en particulier l'accent sur l'apparence qui est primordiale dans ces quartiers.
La dernière partie du livre, rentre dans le quotidien de ces gens mais d'un point de vue évènementiel. Après avoir observé quelques cas particuliers, on fait un zoom arrière pour replacer ces personnages dans leur contexte et on assiste, de manière plus intimiste à ce quotidien morose et glauque qui, bien que bouillonnant de haine, semble figé à jamais.
"Last Exit To Brooklyn" est percutant, psychologique et bestialement humain.
Lire ce bouquin est un devoir!

Shoah, Claude Lanzmann (1985)

En 1956, Alain Resnais tourne le célèbre "Nuit et Brouillard", s'appuyant uniquement sur des images d'archives quasiment insoutenables. Près de trente ans plus tard, Claude Lanzmann décide de réaliser une oeuvre plus historienne mais aussi plus philosophique sur cette tragédie. Et pour cause, pendant près de neuf heures trente, on observe les visages parfois traumatisés, parfois impassibles, des rescapés (ou bourreaux) souvent dépassés par les évènements. La plupart en ont été acteurs malgré eux et porteront à jamais ce poids en eux, d'autres ont agit en bourreaux et tentent de minimiser les actes qu'ils ont commis en jouant la carte " on n'était pas au courant que ça se passait comme ça" et enfin des historiens tentent des approches plus générales pour replacer ces visages dans leur contexte.
La particularité de "Shoah", c'est qu'il ne comporte aucune image d'archives, tout est filmé dans les années 80 et c'est peut-être la force majeure de l'oeuvre: observer l'impact de ce génocide sur des personnes qui nous sont contemporaines en filmant des rencontres que l'on pourrait réaliser soi-même.
Mais attention, il ne faut pas non plus encensé ce documentaire. C'est pas parce qu'il traite d'un sujet tabou et apparemment immuable qu'il est parfait. Historiquement, c'est quasiment parfait, il faut le reconnaître, mais pour les spectateurs, et en particulier les plus jeunes, il y a des passages franchement chiants et puis je trouve que Claude Lanzmann fume trop tout au long de son escapade. Que vont retenir les jeunes de cette expérience??
Au final, sans faire le rabat-joie, il faut avouer que "Shoah" est à voir. Il ne faut pas s'attendre à un coup de poing dans la gueule sinon on en ressortira en ayant encore la dalle. Il faut plutôt se laisser aller vers ce néant où tout s'arrête: la vie des survivants qui sont déjà morts, les paysages laissant apparaître les restes des camps qui paraîssent figés à jamais et surtout le temps qui n'est plus du tout perceptible (sauf quand on regarde sa montre pendant les quelques lenteurs...) à l'intérieur comme à l'extérieur du film.

P.S: Pour ma part, les 1h30 de "Nuit et brouillard" m'apparaîssent bien plus efficaces que ces 9h30, et n'est-ce pas le but des documentaires traitant de la Shoah?? Enfin je dis ça, je dis rien...

jeudi 11 septembre 2008

La Pomme, Samira Makhmalbaf (1998)

Deux jumelles sont placées entre les mains d'une assistante sociale sous prétexte que leur père les séquestrent. Elles découvrent alors à quoi ressemblent les gens, leurs vices et leurs vertus et le spectateur effectue par la même occasion un voyage à travers les quartiers pauvres de Téhéran.
Samira Makhmalbaf réalise ce film à l'âge de 17 ans et étale déjà tout son talent de cinéaste intimiste. "La Pomme" est en quelque sorte un docu-fiction qui aborde divers sujets comme la condition de la femme, l'impact de la religion sur les classes défavorisées ou encore le besoin de fierté chez l'homme. Mais tous ces sujets, bien trop utilisés par les médias, sont abordés ici d'une manière relativement ludique en emplyant des enfants pour faire passer des messages. Même s'il y a des longueurs par moment, le film dans son ensemble reste assez bon et divertissant.

Des Souris et des Hommes, John Steinbeck

Dès les premières pages de ce court "roman", on pense très vite à Boris Vian tellement le style est imprévu et cynique. Le récit est constitué de courtes phrases, pour la plupart sournoisement drôles, qui donnent une réelle force à l'oeuvre. En effet, comme Haneke (entre autres) le fait pour le cinéma, Steinbeck se contente de décrire l'action en cours et ne donne aucune explication au pourquoi du comment. Le lecteur est donc poussé à construire sa réflexion par lui-même et trouve paradoxalement une multitude de pistes à explorer.
Les personnages hauts en couleur, présentent tous une psychologie particulière mais paraîssent plongé dans une extrême solitude révélatrice de l'époque "Rooseveltienne" à laquelle écrit l'auteur. Georges et Lennie, les deux "héros" de l'histoire, sont semblables à des électrons libres en quête d'une situation stable et durable. Ayant pour projet de monter une ferme (sorte d'Eldorado dans le roman), ils travaillent de patelins en patelins afin d'y gagner l'argent nécessaire. L'innocence et la débilité de Lennie servent de prétexte à Georges pour justifier l'échec de sa vie et la fin du roman, plus abstraite que jamais, met un point final à tous les désirs de rêve qui pourraient encore hanter Georges.
Enfin, un des faits marquants du livre, c'est cette opposition entre la douceur et la violence. Le comportement de Lennie en est d'ailleurs très révélateur. Il aime tout ce qui est doux (les chiots, les lapins, les cheveux de femme, ...) mais ne peut s'empêcher de briser cette douceur involontairement. Malgré son âge adulte, il a gardé une âme d'enfant, et l'auteur a voulu ,à travers ce personnage, faire un rapprochement entre l'adulte et l'enfant en en montrant la continuité mais en en dénonçant l'incompatibilité. Il en est de même pour Candy, la femme de Curley, qui se retrouve plongé dans une extrême solitude et qui passe son temps à errer en regardant les hommes qui l'entoure. C'est elle qui sera à l'origine de l'assassinat de Lennie...
En somme, on peut dire que "Des Souris et des Hommes" est un roman très facile à lire mais vraiment complexe à interpréter car il impose un questionnement personnel. Ce roman traversera les siècles et aura toujours autant d'interprétations que de lecteurs. A lire

mercredi 10 septembre 2008

Zatoichi, Takeshi Kitano

Zatoichi, c'est en quelque sorte le "Zorro" japonais, un samouraï aveugle qui voyage de village en village. Kitano, qui décide d'endosser le rôle de Zatoichi, réalise ici un film moyen. Certes les scènes de combat sont grandioses, quelques séquences nous font vraiment rire et la fin est plutôt originale, mais le film apparaît un peu lent et s'inspire un peu trop du "garde du corps" de Kurosawa. Lorsque l'on a vu ce dernier film récemment, on ne peut que trouver Zatoichi assez fade...
Ce n'est donc pas le meilleur Kitano, mais il reste tout de même potable notamment au niveau visuel.

Une Jeunesse comme aucune autre, Dalia Hager & Vidi Bilu

A Jérusalem, Smadar et Mirit, 18ans, doivent effectuer leur service militaire obligatoire et d'une durée de deux ans. Elles doivent contrôler les papiers des arabes qui pénètrent dans la ville afin d'appréhender une quelconque attaque terroriste. Mais les deux filles ont un caractère très différent. L'une est issue des beaux quartiers et a tendance à appliquer le règlement sans concession. La seconde, en revanche, bien qu'ayant du répondant, apparaît plus laxiste et aspire à l'oisiveté. Au fil du film, la réalité saute aux yeux des deux filles. Les traitements faits auprès de la population arabe présentent de grosses injustices et le visage des deux filles que l'on peut observer à la fin du film montre la leçon qu'elles ont tiré de cette éducation civique.
Un film engagé? certainement, car les arabes sont montrés uniquement sous leur côté opprimé mis à part un attentat filmé au second plan.
Un film optimiste? certainement, car on aperçoit de l'entraide, voire de la compassion entre les deux peuples au fur et à mesure que le film avance.
Un film cliché? certes la séparation entre israëliens et palestiniens est un peu trop exagérée, mais le film sonne très juste et présente un côté original en utilisant des jeunes filles belles et innocentes pour servir une politique opprimante.
"Un Jeunesse comme aucune autre" est un film intelligente qui arrive même à introduire de la poésie dans un climat où règne violence et intolérance. En plus d'être intéressante, cette "fiction" n'en reste pas moins utile et éducative. A voir.

Le dahlia noir, James Ellroy

S'inspirant d'un fait divers jamais élucidé, Ellroy tente par la même occasion de soulager sa conscience en abordant un sujet qui le touche personnellement. L'histoire se passe à la fin des années 40, et l'auteur paraît être contemporain de cette époque tellement il en manie à merveille le vocabulaire. C'est en lisant des romans comme celui-là que l'on s'aperçoit à quel point le vécu de l'auteur est important quant à sa propre production. Ellroy a passé une bonne partie de sa vie dans les milieux marginaux et lorsqu'il nous les décrit dans le "Dahlia Noir", on reste réellement étonné devant de telles descriptions donnant un aspect documentaire au roman. A cela, on peut rajouter une psychologie très raffinée des personnages qui en dit long sur les névroses que peut avoir un être humain lorsque son propre passé remonte à la surface.
Au final, un livre magistral, mal adapté à l'écran par De Palma qui a trop mis en avant l'action et la violence du récit, qui rentre dans les classqiues du roman noir.

mardi 26 août 2008

Mort à crédit, Céline

Après l'étrange mais excellent "Voyage au bout de la nuit", Céline décide de nous livrer une part de sa vie dans "Mort à crédit". Dans un style d'écriture inimitable, mêlant tendresse et violence, l'auteur nous dépeint une enfance malheureuse et notamment les différends avec son père. Certains passages sont vraiment crus et les phrases, comportant rarement plus de dix mots, nous pénètrent au plus profond pour nous faire vivre aux premières loges cette histoire hors du commun. Car ce qui fait la force de "Mort à crédit", c'est aussi cette jeunesse plein de rebondissements se développant dans un monde qui s'asphyxie petit à petit où les crédits se retrouvent bloqués.
Il est donc très regrettable que l'on associe automatiquement le "Voyage" à Céline et qu'on délaisse un peu ce chef-d'oeuvre.

lundi 25 août 2008

Chansons du deuxième étage, Roy Andersson

A travers ce film, Roy Andersson nous fait voyager au milieu d'un univers glauque et dérangeant. Et pour cela, il nous décrit l'humain dans ce qu'il a de plus ridicule ou dans ce qu'il fait de plus grotesque. Les paysages sont volontairement déserts pour accentuer ce vide existentiel dans lequel est plongé l'Homme tout en ayant le souci de décrire les personnages au cas par cas. Tout au long de ce long-métrage, on assiste à une multitudes de scènes d'anthologie à l'instar de ce crucifix où l'on peut aperçevoir Jésus ("qui n'est pas le fils de Dieu mais qui était seulement quelqu'un de très gentil") se balançant dans le vide accroché par un seul bras. Enfin, la tirade "Bienheureux celui qui parvient à s'asseoir" représente le fil conducteur du film s'associant tant à l'alcool qu'à la recherche perpétuelle d'une situation confortable pour l'homme.


Au final, un film vraiment bon, unique dans l'atmosphère qu'il véhicule tout en alliant le humour et lucidité.


A voir