lundi 24 novembre 2008

Job, zonard d'intérieur Partie 2

C'est ainsi que Job devint peu à peu sociable. D'un simple dialogue quotidien avec l'épicier du coin visant à acquérir de la matière socialisante au moyen de billets donnés allègrement par l'Etat, il en était arrivé à discuter avec tous les marginaux qu'il venait à rencontrer au fil de ses échappées nocturnes. Son esprit très vif lui permettait de distinguer les personnes intéressantes des étudiants qui se prenaient une cuite par semaine tout en se la jouant alcoolique. Par moment, quand les substances ingérées le transformaient en quelqu'un d'autre, il aimait discuter avec ces derniers dans le but de les choquer. Son éducation perverse était devenue une arme, voire une utilité dans certains cas. Combien d'alcoloétudiants avaient fini par gerber devant lui à force d'écouter ses propos extrêmes et à chaque fois un petit sourire sadique et satisfait se dessinait sur son visage.
En revanche, il aimait se dévoiler et parler de ses angoisses profondes lorsqu’il rencontrait des personnages haut en couleurs. Parmi eux, on trouvait de nombreux SDF bien sûr mais aussi des jeunes vieux qui n’avaient pu ou voulu se sortir de convictions trop extrêmes. Un soir, Job avait partagé sa bouteille avec un vieux zonard d’une trentaine d’année. Ce dernier avait tatoué les évènements marquants de sa vie sur l’ensemble de son corps. Bien que difficile d’accès dans un premier temps, la bouteille de vin rouge l’incita peu à peu à se dévoiler. Entre les prénoms de ses chiens, de ses aventures d’un soir et de ses potes partis trop tôt, on distinguait des paysages moroses sur ses avant-bras. Il disait s’être fait ça avec la seringue de la veille lorsque la descente devenait trop dure à gérer. Comme s’il fallait imprimer sur sa peau ce que l’on aimerait oublier. Job l’écoutait attentivement même s’il ne parvenait pas à comprendre tous les propos de cet être marginal.
L’univers de la drogue n’avait jamais attiré notre RMIste assidu. En effet il se complaisait dans l’alcool et le tabac car il y trouvait toute la folie nécessaire à sa survie. C’est d’ailleurs grâce au vin rouge qu’il rencontrât un soir la « femme » (c’est comme ça qu’il la nomma tout au long de sa relation avec elle) qui devait partager un bout de vie avec lui avant qu’il ne la remplace par l’amour d’un chien, bien plus fidèle et durable. Mais ce que Job préférait par-dessus tout c’était les gueules de bois. Elles lui apportaient une grande lucidité et l’amenaient à réfléchir sur lui-même tout en le confortant dans son alcoolisme. Il réalisait combien embrasser une carrière était ridicule et vide de sens. A quoi bon progresser puisque l’on chute à la fin ? L’essentiel pour lui résidait dans l’enrichissement de sa propre personne, par l’Art en particulier, même si cela faisait naître en lui une crise existentielle de plus en plus tenace. Il vivait en quelque sorte une existence intemporelle et quand on lui disait qu’il profitait du système, il répondait « faites comme moi, vous ne tiendrez pas un mois avant de rejoindre le rang ».
Pourtant Job n’était pas heureux, alors que tous les cons qui l’entouraient paraissaient l’être. Un Homme heureux serait-il un homme qui travaille et ne se pose pas de questions ? C’est du moins ce qu’il pensait car le travail permet de rythmer sa vie sur des choses concrètes et donc non immuables. L’espoir de réussir sa vie enlève toute réflexion sur l’existence même, ce à quoi l’oisif ne peut s’empêcher de penser constamment. Au bout du compte, il ne resterait que deux issues, travailler en restant con ou finir dépressif en réfléchissant au vide de la vie. Job était donc voué à virer dépressif, il fallait donc qu’il se trouve quelque chose à faire mais qui ne ressemblerait en aucun cas à du travail…

Aucun commentaire: