lundi 27 février 2012

Ghosts...of the Civil Dead, John Hillcoat (1988)




Avec "Ghosts...of the Civil Dead" John Hillcoat met un coup de poing à la gueule de la société... en commençant par celle du spectateur. Il est rare de voir un film possédant une telle violence psychologique et physique. Basé sur une histoire vraie, le film se gorge de haine ambiante de seconde en seconde jusqu'à l'explosion finale.

Pourtant le film commence sur un long travelling filmant le désert australien dans lequel se trouve la prison. Les grands espaces que l'on peut apercevoir ne sont pas là pour donner un sentiment de liberté mais plutôt pour annoncer un isolement total.

Puis le réalisateur opère une lente plongée dans cette prison haute sécurité et le film se transforme en huis clos dont on ne ressortira pas indemne. Chaque personnage est présenté succinctement, en tant que prisonnier et non en tant qu'homme. Le film se met alors à osciller entre fiction et réalité, et se travestit en documentaire fictif.

Véritable psychanalyse du milieu carcéral, "Ghosts...of the Civil Dead" dénonce avec brutalité et de manière primaire la condition humaine dans les prisons. Faits réels ou pas, le procédé utilisé est le même que Bunuel dans "l'Ange Exterminateur". John Hillcoat cloisonne ses personnages et les isole à outrance pour en observer les conséquences. Il en résulte une anarchie primaire où chaque personnage devient un animal dangereux, même en cage. Nick Cave, qui a également co-réalisé ce film est d'ailleurs plus qu'impressionnant dans ce film. Le mot animal n'est d'ailleurs pas assez fort pour décrire cette explosion de violence et le film est à deux doigts de devenir un film d'horreur vers la fin, le réalisme en plus.

"Ghosts...of the Civil Dead" est un mauvais moment à passer sur le plan humain car il sonne plus que juste. Mais il est rare de voir tant d'intelligence émaner de la bestialité.

Un temps pour l'ivresse des chevaux, Bahman Ghobadi (2000)


« Un Temps pour l'Ivresse des Chevaux » aborde avec gravité le quotidien d'un petit village dans le Kurdistan iranien, à la frontière avec l'Irak.

Les enfants y sont livrés à eux-mêmes, vivent comme des adultes par obligation mais aussi pour survivre. L'esprit de communauté semble présent à l'intérieur du village mais il ne peut faire face aux difficultés de chacun. La Nature environnante est cruelle et ces montagnes enneigées sont de véritables obstacles pour le commerce de contrebande qui s'effectue de part et d'autre de la frontière.

Même les chevaux peinent à arpenter ces massifs, si bien qu'on leur verse de l'alcool pour soulager leur douleur.


Tout au long du film, on suit plus particulièrement le quotidien de trois enfants dont le petit Madi, atteint d'une maladie hormonale. Même si ce petit être frêle apporte au film un côté pathétique un peu trop corsé, on ne peut qu'être ému par ce personnage qui amène un peu d'espoir et d'humanité dans le film.


A mille lieues de « Persepolis » ou des « Chats Persans », ce film montre l'Iran en dehors de Téhéran et laisse de côté tous les problèmes sociétaux et religieux que l'on connait. Pendant un peu plus d'une heure, on suit le calvaire redondant de ces habitants qui semblent coupés de tout. L'âge des personnages est totalement effacé par une misère et une précarité extrême. Enfants et adultes tiennent les même discours, seul le petit Madi ne peut s'extraire de sa jeunesse.


Au final, la caméra de Bahman Ghobadi filme avec tendresse et réalisme cette triste réalité qu'endurent ces habitants travaillant comme des fourmis, seulement pour pouvoir survivre. « Un Temps pour l'Ivresse des chevaux » a nécessité deux ans de tournage et le réalisateur s'est endetté pour pouvoir terminé le film. Quand on voit le résultat, on ne peut que lui donner raison et l'encourager à continuer dans cette voie.


dimanche 19 février 2012

Memories of Matsuko, Tetsuya Nakashima (2006)


"Memories of Matsuko" est un film complètement déjanté. Par ses couleurs criardes tout d'abord, qui se démarquent d'un cinéma asiatique plutôt terne. Par ses personnages qui ressemblent à ceux de Takeshi Mike, le lyrisme en plus. Par son histoire, retraçant la vie d'une matyre des temps modernes.

Le film se présente sous la forme de flash-back relatant les déboires d'une femme aimante. Et ce qui est bizarre, c'est que cette frêle personne ne connait pas la rancune. Elle encaisse les coups puis pardonne, gagne son paradis sans le savoir.

Dans les premières minutes, le film semble prendre une tournure plutôt comique, même si l'histoire ne s'y prête pas forcément. Mais très vite, on sombre dans un lyrisme ambiant, entrecoupé de scènes violentes et cruelles.

Puis le film traînera finalement en longueur, surtout dans la dernière demi-heure. Sans gâcher pour autant le voyage, cette langueur coupe le rythme de l'histoire pourtant si entraînante.

Ce qui est bizarre mais plaisant dans ce film, c'est la cohabitation entre la poésie et la niaiserie. Le côté kitsch vient amplifier ce côté ridicule tout en posant une ambiance délurée. Un film comme on a pas l'habitude d'en voir tous les jours. A voir.

samedi 18 février 2012

Café de Flore, Jean-Marc Vallée (2012)


Attention spoilers
Film à voir sans avoir lu aucun résumé

"Café de Flore" est composé de deux histoires, l'une dans le Paris de la fin des années 60, l'autre à Montréal de nos jours. La Musique y est omniprésente, et notamment le morceau "Café de Flore" de Matthew Herbert.

Expérience visuelle et sensorielle, "Café de Flore" est un film immersif qui réfléchit au moyen d'images poétiques. Les dialogues ne constituent pas le corps du film et la musique redondante vient amplifier notre ressenti. La Musique est ici un moyen de pénétrer davantage l'âme blessée des personnages, ces rythmes répétitifs mais beaux semblent être la principale arme pacifique du réalisateur. Et c'est finalement cette bande son qui fait la beauté des images, la plupart du temps.

Le film de Jean-Marc Vallée est foncièrement simple dans son propos: Une femme n'accepte pas la rupture avec son mari, à qui elle a voué un amour éternel. On peut imaginer qu'elle va voir un psy ou un médium ( selon ce que l'on veut y voir) pour exorciser ce mal. Et c'est en voyant le résultat du film que l'on remarque tout le talent du réalisateur.

Un peu à la manière de David Lynch, l'inconscient prend une forme réelle et rationnelle dans ce film. Toute l'histoire dans le Paris des années 60 n'est en fait que le cheminement psychologique interne de Carole, qui fait le deuil de cet amour. Mais Jean-Marc Vallée romance son film en ajoutant des détails dans les deux histoires, les enrobe de poésie pour leur donner de la consistance. Si bien que ces deux histoires désormais indissociables à la fin du film semblent deux réalités à part entière. L'histoire se déroulant dans le Paris des années 60 a laissé en apesanteur des atomes qui ont été captés par Carole à notre époque. Il plane, à la fin du film, comme une atmosphère qui transcende le film. On a l'impression que le réalisateur a joint deux bout de réalités pour fabriquer un néant psychique indispensable aux personnages du film.

"Café de Flore" est un petit bijou qui bouleverse et qui régale. Même si l'on ne sourit que très rarement, on ne peut qu'être happé par cette esthétique réussie accompagnée d'une musique immersive. Ceux qui y chercheront une réflexion ou un message y trouveront seulement de la naïveté et du vide.

My Little Princess, Eva Ionesco (2011)



Témoignage d'une femme à l'enfance gâchée, « My Little Princess » nous plonge dans une réflexion sur l'Art, l'érotisme et la pudeur.


Tout d'abord, nous ne ressentons que très peu d'émotion tout au long de ce film. Le sujet traité impose une distance entre le spectateur et le film, même si l'on n'est pas au courant qu'il s'agit d'un film autobiographique. Mais surtout le personnage de la photographe incarné par la sublime Isabelle Huppert vit dans son monde. Anna (Isabelle Huppert) semble libérée de toute contrainte morale. Elle apparaît comme une photographe qui libère ses pulsions en les immortalisant sur des clichés.


Au début du film, on s'attend à ce que le film soit une critique de l'Art dans ce qu'il peut comporter de novateur et de déviant. Mais finalement, on replonge vite dans un cinéma intimiste froid et hermétique en se focalisant sur la relation mère / fille, sur le plan artistique comme relationnel.


Ce qui est sûr, c'est que ce film a une valeur cinématographique, ne serait-ce par les excellentes prestations d'Isabelle Huppert et d'Anamaria Vartolomei. Isabelle Huppert excelle lorsqu'elle incarne l'Excentricité, elle semble incontrôlable et imprévisible tout en vivant pleinement ses émotions et ses pulsions. Quant à Anamaria Vartolomei, elle est époustouflante. En espérant que ce rôle ne lui gâche pas le reste de sa vie, elle endosse à merveille ce rôle d'enfant-objet. On sent qu'à travers Violetta, c'est Eva Ionesco adulte qui s'exprime. Les dialogues comme les réactions de l'enfant sont très matures.


« My Little Princess » est également une réflexion sur l'Erotisme et sur le corps de l'enfant. A travers une mise en scène scabreuse, le visage pur de la petite Violetta contraste avec un unviers morbide et destructeur. Pourtant la métamorphose de l'enfant est spectaculaire. L'Erotisme prend tout son sens et ce petit être frêle pas encore formé dégage des messages de femme. Mais ce qui est fort dans cette métamorphose, c'est qu'elle est aussi psychologique. Violetta semble prendre part à cet érotisme et sortir en partie de son rôle de victime.


Au final, un film qui laisse perplexe sur le sujet qu'il aborde mais qui pousse à réfléchir sur la nature profonde de l'image humaine.

vendredi 10 février 2012

Le Cochon de Gaza, Sylvain Estibal (2011)





Apporter l'humour et la décadence occidentale sur la bande de Gaza pour tourner en ridicule le conflit israélo-palestinien, tel est l'objectif du « Cochon de Gaza ». Et il faut avouer que c'est plutôt bien réussi.


Tout au long du film, on suit l'histoire de Jaafar, pêcheur de Gaza, qui retrouve un cochon dans ses filets. Bien que dégoûté par le vil animal, il entrevoit rapidement la possiblilité d'un commerce avec les colons, qui utilisent les cochons pour désamorcer les bombes. Jaafar est donc chargé d'apporter de la semence de porc aux colons avec les moyens du bord.


Comédie burlesque et subversive, « Le Cochon de Gaza » décrit l'absurde par l'absurde. Sur un ton très léger, le film aborde des thèmes de fonds comme la cohabitation entre juifs et arabes ou "l'Occupation" vide de sens. Mais la force de cette comédie, c'est la mise en avant des points communs entre juifs et arabes : le soldat israélien et la femme de Jaafar regardent le même feuilleton télévisé et nouent un début de relation humaine, en discutant des sentiments des personnages qu'ils voient évoluer. Mais chacun rêve d'un chez soi. Le soldat israélien veut rentrer à Tel-Aviv, la femme de Jaafar veut que les colons s'en aillent pour retrouver un semblant d'intimité.


Toujours avec cette légèreté profonde, « Le Cochon de Gaza » parvient à montrer les relations contrastées entre les deux peuples. Ils se détestent officiellement mais se ressemblent humainement, quotidiennement comme culturellement. Mis à part les habits, on a l'impression qu'il n'y a qu'un seul peuple. Ce « peuple hybride » semble se parler à lui-même tout en n'étant pas d'accord sur une même idée bien que pensant la même chose. La scène où un groupe de palestiniens, un plot de chantier à la main, débute un dialogue de sourd avec un groupe d'israéliens, un haut-parleur à la main, est très représentative de cette absurdité ambiante. Les palestiniens paraissent semblables aux israéliens, la classe sociale en moins.


Enfin, on ne peut parler de ce film sans évoquer le fameux cochon. Comme le chien dans "The Artist", le cochon est un acteur à part entière dans le film. C'est la petite touche irréelle qui vient apporter un peu de réalisme, une sorte d'introduction au gag sérieux que constitue le film. C'est finalement le seul personnage qui semble libre dans le film. Et putain que ça donne faim tout ça!!


Bref, « le Cochon de Gaza » est une comédie courageuse et intelligente, drôle et émouvante, lucide et utopique ( la scène finale est très réussie). Peut-être que ce genre de film donnera des idées aux réalisateurs israéliens et palestiniens et fera émerger un cinéma subversif comme on peut l’apercevoir en Iran par exemple. Le cinéma israélien a tendance à faire de l'occidental, en traitant de sujets tels que l'homosexualité ou le terrorisme. Il y a très peu de films ( à ma connaissance) qui traitent du conflit israélo-palestinien de manière intelligente. Pourtant Israël comme la Palestine, tout comme le regard que les pays alentours portent sur ces deux moitiés de pays, pourrait en sortir changé. Le Cinéma a cette force là, autant l'utiliser.