mardi 27 juillet 2010

La Camarde de Darwin ou l'Evolution négative


"Oh non, l'Homme ne descend pas du singe, il descend plutôt du mouton" scandait tout à l'heure ce chanteur talentueux sur ma radio personnelle.


Big Brother: Retour des religions, montée du terrorisme et de l'intégrisme, illéttrisme, misère sociale et intellectuelle, insécurité totale de minuit à 23h59... tous les fléaux remontent à la surface, ça va péter!!! Faites les moutons, obéissez-nous si vous voulez que vos enfants s'en sortent!!!


Petit Frère: Pas de problème. Que dois-je faire?

BB: Travaille, consomme, mange, chie, dors, travaille, consomme, mange, chie, dors. Répète ça de plus en plus vite, tu vas voir c'est rigolo comme tout.

PF: D'accord mais pourquoi entrer dans cette routine?

BB: Apporter ton aide quotidienne favorisera l'évolution de notre espèce. Au départ mon papa montait sur ta maman pour une tranche de bifteck. Maintenant, il le fait toujours mais il y a des règles. On discute un peu plus, on enjolive ce que l'on compte faire pour sa propre conscience, on vérifie que le bifteck ne soit pas périmé et papa peut monter sur maman.

PF: C'est donc ça l'évolution? Si je vous ai bien suivi, il s'agit d'une accumulation de dialogues et de façons de faire avant de pouvoir se comporter légalement comme nos ancêtres poilus.

BB: Officieusement, oui. Mais nous avons élaboré des lois car nous en avons marre de polémiquer à chaque fois qu'un humain ne met pas les formes pour arriver à ses fins animales.

PF: Je comprends mieux maintenant. Il faut donc que j'apprenne à parler utile et que je ne me montre pas trop brusque dans ma manière d'être. Mais j'aurais une question monsieur BB. Quelle est la finalité de l'évolution? Est-ce que le but est d'évoluer ou l'Evolution?

BB: Tout d'abord "évoluer" pour nous c'est apporter un changement, donner du confort, changer la couleur du décor. Tu n'es pas heureux d'avoir un téléphone portable, de pouvoir dénuder n'importe quelle fille sur ton ordinateur portable? Préfèrerais-tu retourner au temps de tes grand-parents, aller chier dans le jardin, mettre 3h à préparer un repas, 2h pour aller à ton boulot, te marier avec ta voisine d'en face parce qu'elle t'es promise?

PF: Non, je ne pourrais laisser mon confort pour rien au monde! Mais je ne comprends pas certains points. Je remarque qu'à l'heure actuelle, tout le monde court partout, voyage en TGV à 230km/h, mange en 3 minutes grâce au four micro-onde, téléphone en marchant. Où est donc passé ce temps libre qui aurait dû logiquement apparaître avec ce gain de temps?

BB: Mais il s'est investit dans les loisirs pardi!! Toi tu ne t'es pas assez baladé dans les grandes surfaces encore!! regarde un peu plus la télévision, l'envie te viendra. Tout est réalisable aujourd'hui, cite moi une chose que la société ne peut pas t'offrir?

PF: Heu... le bonheur, une femme, des gosses, une libre-pensée, un doigt dans ton cul, des cotons-tiges que je te rentre dans les oreilles et que je t'enfonce dans le cerveau, un fil de fer dans ton trou de pine... pas mal de choses en fait.

BB: Ah bon... lol comme on dit chez les jeunes maintenant!!

PF: Maintenant je peux rire de tout, mais je n'ai plus le droit de rien dire, liberté et censure sont les deux mamelles de la France. Les femmes se sont émancipées, elles se rentrent de ces trucs dans les fesses, j'aurais jamais imaginé!! Je peux choisir mon humeur et cacher mon mal être grâce à Internet. Deux petits smileys qui rigolent vaudront toujours plus que les larmes qui coulent sur mon clavier. De même mes dix doigts sur mes touches d'ordinateur me permettent d'acquérir une multitude de connaissances virtuelles qui viennent me rendre encore plus seul. J'en arrive à préférer l'artificiel au réel que je connais de moins en moins, le vulgaire à la finesse qui me semble fade, la solitude conviviale à la confrontation amicale. Est-ce cela le progrès? Ne se résoudre qu'à appréhender autrui par rapport à ce qu'il désire montrer en apparence, en virtuel ou en sournoiserie? Se sentir complexé par les modèles auxquels il faut ressembler pour avoir une vie décente? S'inventer une vie virtuelle pour pallier tous ces manques?

BB: Tu as des pensées bizarres toi! Personne ne t'oblige à te servir de ces opportunités si tu les juges dangereuses et perfides. A quoi aspires-tu? Faire un bras de fer avec le néant, te retrouver sans habillage devant le noyau dur de la vie? Imagines-tu le nombre de dépressifs qu'il y aurait si nous n'aveuglions pas la population?

PF: Les dépressifs sont de plus en plus nombreux! Les offres faites par la société ne répondent plus aux attentes du peuple. Puis le gros problème, ne mentez pas, c'est l'éducation. Faire vivoter une population avec un matériel qui accompagne la vie dans chacun de ses moments, c'est la contrôler, lui éviter certains écarts que le grand vide existentiel et le manque d'éducation pourraient occasionner. Ne trouvez-vous pas aberrant que l'on puisse visualiser gratuitement chaque rue de la planète grâce à gogol map et y aperçevoir des gens qui crèvent de faim? Les courants de pensée se multiplient quotidiennement. Chacun peut trouver sa voie, du moins suivre celle tracée par un autre. Je peux être marginal ou dans le système, tout s'ouvre à moi. Le "Moi", c'est d'ailleurs le nouveau nom de cette société. Les publicités s'adressent à moi, je peux zapper si j'en ai envie, choisir la couleur des mes caleçons, de mes chaussettes, imposer mes opinions de manière brutale sur des forums internet pour décompresser, insulter les gens qui font les mêmes conneries que moi mais pas au même moment... bref je suis le maître de ma vie... à première vue...

BB: Comment comptes-tu vivre dans ce cas-là si tu rejettes tout ce que l'on met à ta disposition?

PF: Comme tout le monde, j'ai besoin de solitude autant que de convivialité, de finesse autant que de vulgarité, mais par rapport à ce que je pense aimer. Partir à la recherche de soi en allant se confronter aux autres, à l'inconnu. Savoir se réévaluer sans cesse car on change très vite. Créer une arborescence culturelle en menant une investigation permanente sur les terrains de récits ou d'évenements qui nous ont rendus satisfaction. Car la véritable définition de la personnalité, c'est le mélange de fragments de personnalités d'autruis que l'on aura capté au cours de notre vie. Il ne faut surtout pas attendre que l'on nous indique ce qu'il est bon d'apprécier ou de faire. Etre curieux, regarder le plus largement possible afin de capter tout ce que l'on est capable d'appréhender. Faire preuve d'égoïsme au départ, penser à soi pour se donner une valeur qui facilitera les relations futures sans pour autant les travestir. Ne pas devenir esclave de son orgueil lorsque le semblant de personnalité pointera son nez. Bref quasiment l'opposé de ce que vous voulez nous infliger.

dimanche 4 juillet 2010

Tony Gatlif ou la métaphore de l'oiseau sans pattes


Réalisateur talentueux et amoureux de la musique nomade, Tony gatlif nous offre dans chacun de ses films un véritable voyage à la rencontre de peuples humainement musicaux. Dans "Gadjo Dilo", son film le plus poignant, il parvient à lier musique et histoire d'un peuple, si bien que musiques, chansons ou danses se posent ici en véritable témoignage. Car la musique, trop souvent perçue comme à côté de l'Etre Humain, n'est en fait qu'un organe intrinsèque à l'homme, indissociable de son histoire et de son caractère, aussi important que la Parole. Et cela Tony Gatlif le montre à merveille, il filme les expressions des personnages lorsqu'ils chantent ou dansent, dans les moments tragiques comme dans les brefs instants de joie et toujours avec curiosité et respect.

Son cinéma met également à la portée de tous une culture trop peu connue du grand public sans tomber dans la simple vulgarité. Plutôt que de faire des concessions dans la nature même de ses films, il met à contribution des acteurs célèbres comme Romain Duris, même si par moment l'acteur paraît fade face aux personnages authentiques de ses films.

A l'instar d'Emir Kusturica, Gatlif filme et fait parler la musique, peut-être avec moins d'humour et plus de réalisme. Documentaire, film musical ou film d'auteur? Difficile d'en définir le style exact. Peu importe au final. Adultes comme enfants se retrouvent unis par une musique qui gomme les différences d'âges, comme un langage commun composé par un vocabulaire naturel et inné.

Mais Tony Gatlif c'est aussi le chantre des nomades et des personnages bousillés par la vie. Dans "Gaspard et Robinson", il dresse le portrait de deux amis complèment détruits intérieurement, sédentaires mais nomades à jamais dans leurs têtes. "Transylvania", "Exils" et surtout "Je suis né d'un cygogne" viennent complèter ce tableau de l'errance. La métaphore de "l'oiseau sans pattes qui se pose pour mourir" évoquée par Wong-Kar-Wai est également valable pour le réalisateur de "Gadjo Dilo".

Au final, les films de Gatlif doivent être appréhendés comme une invitation au voyage et une ouverture sur l'autre dans ce qu'il a de plus foncier. Avec "Latcho Drom", son projet le plus ambitieux, il s'est initié au documentaire artistique, toujours en montrant l'histoire de la musique à travers celle de son peuple.

Les Rapaces, Erich Von stroheim (1924)


Certainement le film muet le plus abouti par son franc-parler et sa morale pessimiste, "Les rapaces" confère au chef-d'oeuvre. D'une durée initiale de plus de 9h, cette grande fresque fût réduite à une durée modique de 2h15. Les raisons de cette violente amputation furent commerciales et l'on peut alors imaginer à quoi auraient pu ressembler ces scènes censurées tant ce qu'il en reste crève l'écran.


Montrant avec cruauté l'étroit rapport entre l'argent et la condition humaine, "Les Rapaces" dérange par sa manière d'apporter son discours sans concession. Dès les premières images, on pense aux Rougon-Macquart, portrait d'hommes simples laissant apparaître ce que les gens civilisés cachent par leur culture ou leur bien-être.


Même si l'on ressent la forte amputation dont a été victime le film, on sent que Von Stroheim a tout misé dans ce film, qu'il s'y est investi comme s'il vivait là un épisode de sa vie. Sa façon de filmer les visages et les corps ravagés de pauvres gens, mais aussi de ceux dont on suit l'histoire tragique, démontre une compréhension profonde de la Nature Humaine. L'incroyable montée en puissance couvrant tout le film amène le spectateur dans des terrains hostiles pour sa propre conscience, pour ce qu'il ne veut pas être tout en sachant qu'il porte les bagages de cette même déchéance.


L'osmose entre le spectateur et le film n'est pourtant pas palpable consciemment, elle se réalise quelques jours après le visonnage. La scène de fin, filmant avec insistance le destin identique et tragique de deux amis devenus pires ennemis, perdus dans la Vallée de la Mort, attachés par des menottes, gisant sur une fortune devenue superflue, peut être placée parmis une des meilleures scènes de l'Histoire du cinéma.


Chef-d'oeuvre incontestable, "Les Rapaces" contient déjà tout ce que l'on aura à dire sur l'Homme, la valeur fictive et superflue de l'Argent en tant que symbole et surtout sur la critique de la cupidité qui prend une valeur des plus fortes au fil du film. Jamais le muet n'aura autant parlé que dans cette grande fresque pittoresque et corrosive.