mardi 18 décembre 2012

Au-delà des collines, Cristian Mungiu (2012)







Alina revient d'Allemagne pour y emmener Voichita, la seule personne qu'elle ait jamais aimée et qui l'ait jamais aimée. Mais Voichita a rencontré Dieu et en amour, il est bien difficile d'avoir Dieu comme rival.


Dès les premières images on est happé par ce climat glacial, par cette communauté qui vit de manière isolée en quasi autarcie, par ces paysages à la sévérité magnifique, par cette Roumanie affamée mais solidaire et par le talent de Cristian Mungiu...

Alina rentre d'Allemagne, de cet occident au-delà des collines, souillée par une impureté charnelle et spirituelle. Voichita a succombé au charme invisible d'un prénommé Dieu. Qui de la chasteté ou de la chair l'emportera ? « Papa », le prêtre de la communauté, vient ici se poser en arbitre spirituel entre Alina et Voichita. Lorsque Voichita lui fait part de son désir de partir en Allemagne pour ramener Alina à la raison religieuse, « Papa » lui répond que « celui qui s'en va ne revient pas pareil ». Pourtant Voichita est restée et c'est elle qui a changé. Son amour pour Dieu la rend niaise, soumise et réglée. En revanche, Alina est humaine, imprévisible et sanguine. Aux yeux du prêtre, elle est possédée par le Malin, il faut donc l'exorciser...

Il s'ensuit tout une séries de vaines guérisons religieuses. Lorsque Alina a ses crises, les nonnes s'agglutinent autour d'elle pour l'immobiliser, donnant ainsi des images sublimes de désarroi mais également de sincérité. Les nonnes apposent un regard naïf, observateur et à la fois curieux sur Alina. Elle représente le mal, peut les mettre en danger, religieusement parlant, mais elle porte une souillure qui la rend attrayante. "Au-delà des collines" est un peu la fusion entre "Des Hommes et des Dieux" et l'Exorciste". Les influences d'Haneke et de Dreyer se font ressentir mais on sent que l'on peut vite tomber dans le film d'horreur vers le milieu du film. C'est une des réussites du film, de posséder plusieurs ambiance, de changer de style tout en restant classe et linéaire.

Ce qui est fort aussi, et qui donne toute sa dimension au film, c'est le dénouement. On revient à la réalité et on se rend compte qu'Alina a gagné, qu'elle a détourné Voichita de Dieu, que l'Amour a triomphé de la Religion. Mais ce sont aussi ces marques sur le corps d'Alina et cette supposition qu'elle a été maltraitée par la communauté religieuse, qui semble vouloir faire le Bien mais qui est aveuglée par ses convictions religieuses. Alina fait don de sa personne à Dieu pour reconquérir Voichita. Au lieu d'être un échange, comme tout amour normal, cet amour fonctionne comme un vase communicant, l'amour spirituel que donne Alina à Dieu est récupéré en amour terrestre par Voichita. Plus Alina est affaiblie, plus elle se « donne » à Dieu, et plus Voichita sort de sa condition servile de nonne. Alina passe de femme à martyr tandis que Voichita passe de nonne à femme. La déshumanisation d'Alina, qui ne parvient pas à matérialiser le seul amour compatible avec celui de Voichita, fait renaître en cette dernière des sentiments humains et charnels. Mais finalement, à aucun moment Alina ne croit réellement, ce don de soi est une démonstration de son amour pour Voichita, lorsqu'elle regarde Dieu elle y voit Voichita.

Ce film est chiant sur la feuille mais sublime à l'écran. Outre l'histoire d'amour tragique qu'il relate, il dresse un constat assez noir mais certainement lucide sur la Roumaine d'après Ceaucescu, avec sa misère atténuée par la solidarité et utilisée par certains (comme la famille d'accueil d'Alina) et ses enfants maltraités par des coupables impunis (pédophilie). Le rideau de boue qui s'abat sur le fourgon de la police met un terme au film de façon magnifique.

 

dimanche 2 décembre 2012

L'ivresse livresque




Devant moi, deux pupilles en liesse qui ne cessent de dire non de la tête. De cette frénésie, il émane une voix intérieure dont le timbre est indéfinissable. Je me complais à observer ce que je dévoile lorsque l'on m'effeuille. Tantôt malmené, tantôt ignoré, je ne cesse de voir des tronches de con, le plus souvent binoclardes en train de dévorer mon intérieur. A quand une bonne paire de miches ou un mont de Vénus ? Ras-le-bol d'observer des bouches pincées semblables à des culs de poules, des doubles mentons aidés par la position horizontale, des intérieurs de nez d'une richesse nauséabonde, des souffles fétides qui me renvoient une image ennuyeuse. J'aurais aimé naître gros, chapitré et pointu pour ne pas être déçu. Mon Créateur ( connu pour la célèbre phrase : «  Je trouve la Littérature tellement fade que j'ai décidé de l'écrire moi-même ») aurait dû avoir la plume un peu plus lourde de manière à ce que l'on ne puisse plus me soulever du bout des bras. Petit être chétif dans son costume de papier, j'ai toujours été en admiration devant ces encyclopédies et ces dictionnaires qui semblaient savoir tout sur tout. Nos discussions me frustraient tant ils m'écrasaient avec leurs savoirs alors que je racontais tout le temps la même histoire. Même en discothèque c'étaient eux qui faisaient les vigiles :


Encarta 1985 : «  Salut les petits romans, on est tout seul ce soir ? Ce soir c'est entrée libre pour les bandes dessinées et gratuits pour les romans accompagnés de mangas. »

La Petite Fadette : «  S'il vous plait, on est de la littérature de Terroir, on ne connait pas de littérature étrangère, on peut rentrer ? »

L'intégrale de Naruto et de Jodowrosky arrivent devant la boîte.

Universalis : « Entrez Mesdames et Bonne soirée. Ne faites pas attention à ces romans ennuyeux qui radotent.
Boule et Bill : «  Eh, «  La Bête Humaine », tu me montres tes parties textuelles ? Je te montrerai mes desseins ?

Le Petit Robert : «  Pas de ça ici ! Vous vous croyez dans une bibliothèque ou quoi ? »




J'étais en manque de rencontre et sombrais dans une décadence totale. Je me faisais alors prendre par derrière par un Japonais rustaud ( je compris alors la dure vie des annales), mutiler par un égoïste de passage qui me croyait unique, dénuder par une lectrice sensuelle qui découvrit ma couverture, ou encore violer par des yeux endormis qui se fermèrent avant de voir mon dos.

Je me faisais donc gigolo dans une bibliothèque et passais de main en main dans une prose des plus charmeuses, si bien que mon épiderme s'en trouva tout craquelé. Puis le maquereau de la bibliothèque jugea que je commençais à être obsolète et m'attribua un rayon beaucoup moins passant. Malgré un lifting et un massicotage dernier cri, je tombais dans l'oubli et l'abandon. Je jetais l'encre sans le vouloir...

Mais un beau jour, je sentis du mouvement et ma solitude prit fin à la page 157. J'observais mon nouveau voyeur du haut de ma troisième ligne et je vis que j'avais affaire à un passionné. Ses gants caressaient doucement mes pages et ses pupilles me renvoyaient un reflet d'or. Cet amoureux ne me connût pas d'un trait et abaissa ma cravate vers mon adolescence. Je fus placé à côté d'un rejeton de Fedor. Toutes les semaines, je ne voyais plus défiler des mains mais des yeux. On ne me lisait plus mais on m'observait, paraît que j'étais devenu un spécimen. Tous les autres étaient devenus de simples images virtuelles que l'on découvrait timidement du bout du doigt, des livres sans papier qui avaient droit de cité. Mais où était donc passée cette complicité que j'avais connue lorsque j'étais encore subversif et que je circulais de manteau en manteau, avant les mains, puis les yeux, puis les gants ?

Les têtes humaines avaient donc réussi à cloner le livre, d'un simple clic avec leur doigt. Ce doigt qui servait à me découvrir auparavant était désormais une trique à la fertilité immatérielle. La bataille des livres était à nouveau lancée, mais cette fois face à une armée de semblables invisibles et prolifiques. Plus besoin d'avoir la ligne, d'arborer un faciès plaisant ou encore d'être dans un coin fréquenté par des yeux lubriques.

Nous étions devenus des objets encombrants, peu intéressants et voués à disparaître dans des harems géants remplis de retraités.

mercredi 24 octobre 2012

Le Cheval de Turin, Bela Tarr (2011)





Odyssée apocalyptique en huis clos à travers la Condition Humaine, l'Existence et la fin du monde, « Le Cheval de Turin » transpire la redondance de la vie et pose un constat pessimiste sur le devenir de l'Homme.

Pendant 2h30, on suit les gestes répétitifs d'un cocher et de sa fille dans leur ferme. Se lever, s'habiller, aller chercher de l'eau, manger, se déshabiller, dormir,...tel est le schéma de cette survie rituelle et quotidienne.
Le cocher, sorte de mélange entre Jamel Debbouze et le Christ, ne peut pleinement participer aux tâches quotidiennes du fait de son bras invalide. Mais il dirige toujours sa fille d'un ton patriarcal et autoritaire.
Sa fille, frêle et froide, redouble d'efforts pour arriver au but final de la journée : déposer deux pommes de terre dans son assiette et celle de son père. Pour cela, elle lutte contre des vents violents pour aller chercher l'eau du puits, donne à manger au cheval, maintient le feu allumé, habille son père,...



La relation entre le cocher et sa fille est humainement inexistante. De simples regards suffisent à déterminer la volonté de chacun. Par moment la fille émet un « c'est prêt » pour signifier que les deux pommes de terre sont dans l'attente d'être mangées. La fenêtre de la ferme fait ici office de télévision existentielle à travers laquelle on recherche une image concrète, en vain mais sans espoir. Spectateurs de la non-vie, ces deux animaux humains subissent les affres du vide malgré une apparence des plus simples.

Pourtant, de ce néant humain, de cette répétition sans fin, de ce silence insistant, il émane une force, celle de la confrontation avec la Mort. A table, les deux sujets se regardent, lisent dans le regard de l'autre l'incompréhension existentielle. Sans le savoir réellement, ils dépriment, sans se lamenter ils se plaignent de par leur apparence. Cette relation est triste à mourir et pourtant si belle d'un point de vue cinématographique en nous offrant un muet criant de désespérance.

Pour approfondir son regard, Bela Tarr ajoute l'insistance de sa caméra à une Nature hostile et menaçante. L'apparition d'un homme trivial et loquace puis celle de tziganes convoitant l'eau du puits ne ressemblera qu'à des événements oppressants, confirmant ainsi une extrême solitude.



Puis il y a ce cheval, élément clé du film. C'est lui qui ouvre le film d'une démarche majestueuse, en lutte avec le Temps. Son calvaire semble infini et pourtant un beau jour, il refuse de s'alimenter, de sortir. Il incarne la Vie puisque de lui dépendent le cocher et sa fille. Comme dans « Au Hasard Balthazar » de Bresson, ce cheval arbore un visage plus fin et plus subtil que ses maîtres.
Ce cheval, c'est une idée, une voie vers le Surhomme peut-être, puisqu'il est question de Nietszche au début du film. Mais il peut tout aussi bien représenter le suicide de l'Homme, seule dérobade à la vie.

Enfin, dans « Le Cheval de Turin », Bela Tarr joue avec les nuances de son et de lumière. Il opère des plongées vers la réalité, oscillant entre documentaire et fiction. Filmant de grands plans avec une musique magistrale en fond, il laisse petit à petit apparaître les petits bruits du quotidien, pour nous signaler que l'on entre en territoire humain, délaissant le comédien au profit de l'Homme. Les dernières images, d'une obscurité totale, annoncent peut-être la fin du monde, ou peut-être la fin d'un monde...

Le chef-d'oeuvre de Bela Tarr.

samedi 30 juin 2012

Cosmopolis, David Cronenberg (2012)




« Cosmopolis » est un film atypique et désespéré. L'esthétique y est parfaite et l'on est loin des premiers films de Cronenberg avec leurs images délavées et fades. Dans son dernier film, le réalisateur du « Festin Nu » tente d'explorer le monde obscur de la finance.

La plupart du film se déroule dans une limousine blanche insonorisée, cocon matériel et lieu de vie du golden boy Eric Packer. Dans ce palace mobile, il baise, boit, se fait ausculter par un médecin, invite ses amis, discute philosophie... le tout avec un visage placide et stoïque.
Lorsqu'il quitte sa limousine, Eric se retrouve dans des endroits quasi désertiques et très classiques (hôtel, bar-restaurant, terrain de basket, coiffeur,...).

Quelques phrases suffisent pour décrire ce trip halluciné mais réel. En revanche, il faudrait beaucoup plus de temps pour décrire ce qui est montré entre les images. Les dialogues sont omniprésents et ce sont eux qui portent le film. « Le Temps est une denrée qui se raréfie » lance Eric à sa femme, accoudé au comptoir d'un bar. « Nous devons contrôler le futur pour remplir le présent » lance l'espèce de professeure de philosophie. En effet, le Temps est ici au cœur du film. Ça grouille d'informations en temps réel, données par Torval, le garde du corps d'Eric. Le jeune golden boy vit en avance sur le monde et se retourne sur son présent pour observer ce qu'il est. Il y a très peu voire pas du tout d'évocation du passé de la part d'Eric. Ce qu'il faut pour survivre au monde de la finance, c'est vivre perpétuellement dans la transition car l'invention périme à sa naissance.

« Le mot ordinateur n'existe déjà plus » affirme Eric. Le monde entre dans une ère spirituelle, tout les termes changent et le matériel disparaît peu à peu. « Cosmopolis » est une succession de mots mis en image expliquant la fin d'un capitalisme matériel qui a engendré la mis en commun d'un individualisme grandissant. Ce film réussi à créer du neuf à partir de discours ressassés depuis des décennies. Mais le discours n'est pas non plus anti-captialiste car le réalisateur dénonce l'inutilité de certaines luttes consistant à crier au scandale ou à entarter les coupables.

La scène finale est peut-être le point faible du film de par sa longueur. On décroche un peu au bout d'un moment et on est quelque peu déçu sur le moment avant de se dire à nouveau qu'on vient de voir un chef-d 'œuvre en sortant de la salle.
« Cosmopolis » est un film très dense qui nécessite un second visionnage pour avoir toutes les cartes en main et pouvoir comprendre un peu mieux cette magnifique peinture cinématographique.

dimanche 15 avril 2012

La Délicatesse, David Foenkinos (2011)



Le premier quart d'heure du film est difficile à passer. Mais les valeureux spectateurs qui attendront Markus, belge suédois rustre qui porte le film avec finesse, découvriront un film pas si mauvais que ça.


L'image que l'on se fait de la délicatesse est souvent celle d'une attention faite avec finesse, que l'on porte avec des pincettes. Or le personnage de Markus est aux antipodes de cette idée reçue. Costaud, chauve, poilu et primaire dans ses propos, le suédois belge incarne l'antithèse de la délicatesse. Et pourtant, le film va petit à petit faire émerger un côté soigné et limpide chez l’énergumène. De ses paroles concises et directes, il émane une délicatesse cachée qui se dévoile peu à peu. Et finalement, cette délicatesse, que l'on croyait travaillée, trouve sa source dans la simplicité et la limpidité.


François Damiens, alias François l'embrouille, dégage une force qu'il ne semble pas contrôler lui-même. Quant à Audrey Tautou, elle est fidèle à elle-même, douce et délicate.

Une bonne surprise.



lundi 9 avril 2012

La fille sur le Pont, Patrice Leconte (1999)





Dans "La Fille sur le Pont", Patrice Leconte filme la passion à travers l'image du lancer de couteau. La passion c'est ce bonheur intense qui n'existe que dans le présent, qui rend aveugle et écorche. Avec un humour sérieux à la Blier et des dialogues vraiment excellents, Leconte pose une ambiance unique magnifiée par un noir et blanc pur et un jeu de lumière soigné.

Quant à Vanessa Paradis et Daniel Auteuil, ils se montrent plus que convaincants, l'une en nymphe déboussolée, l'autre en lanceur de couteau solitaire et amer.

Un bon film

Les Neiges du Kilimandjaro, Robert Guédiguian (2011)





LE meilleur film français depuis "Les Valseuses". Il n'y a pas de mot pour décrire cette perfection et cette pureté. Puissance émotionnelle, leçon de vie, Humanisme sans hache... A voir, revoir et apprendre par coeur.

samedi 7 avril 2012

Les Méduses, Shira Greffen / Etgar Keret (2007)




« Le Jour de son mariage, Keren se casse la jambe et doit renoncer à sa lune de miel. Une petite fille sortie de la mer change la vie de Batya, jeune femme à la dérive. Joy, une employée de maison en exil, réconcilie une vieille femme sévère et sa fille. »


Construit à la manière de « Short Cuts » ou de « Magnolia », « Les Méduses » fait évoluer parallèlement trois histoires qui s'entrecroisent par moment. Réalisée par le couple Shira Greffen / Etgar Keret, cette partition à quatre mains dépeint un univers tantôt naturaliste, tantôt onirique. Les personnages qui peuplent le film sont seuls et ne semblent pas trouver une place dans le monde qui les entoure.


Doté d'un scénario plutôt autobiographique, "Les méduses" trouve surtout sa qualité dans son esthétique, avec ces images pures et cette réalisation quasi minimaliste.


Même s'il est plutôt plaisant de voir un cinéma israélien relativement doux (sur la forme) qui ne traite pas du fameux conflit, on ressent un certain manque de rythme par moment sans que cela n'entache la qualité du film. L'affiche du film est cependant trompeuse, car elle exprime une dynamique (une femme courant après un enfant) que l'on ne retrouve pas, si ce n'est cette fuite vers un mieux.

"Les Méduses" reste toutefois à découvrir.



jeudi 5 avril 2012

Bellflower, Evan Glodell (2012)




Premier film prometteur d'Evan Glodell, "Bellflower" est un film à séquences, alternant douceur et violence, plans travaillés et scènes brutes, bestialité et émotion.

Tout au long du film, on suit deux amis perdus dans la vie, sans réel but, si ce n'est la confection d'une voiture apocalyptique. Puis une fille arrive dans la vie d'un des deux, et là tout bascule.

Comme un subtil mélange entre "Gran Torino" et " Boulevard de la Mort", "Bellflower" est un film unique et curieux. D'abord par sa réalisation, anarchique et imprévisible. Impossible de définir un vrai style tant les plans diffèrent les uns des autres. Certaines scènes sont volontairement gâchées, floues, comme un intermède laissant place à l'amateurisme, comme une volonté de décrire le côté dérisoire et désespéré de ces jeunes, comme une façon de mettre l'accent sur certains points.
Ensuite, il y a Evan Glodell, le réalisateur qui fait aussi l'acteur dans son film. Avec son physique à la Tom Cruise, le talent et la barbe en plus, il incarne plutôt bien ce jeune homme perdu tombant dans le piège de l'Amour.
Enfin, il y a les dix dernière minutes, où tout devient sérieux, où l'on réalise que toutes les maladresses antérieures ne sont finalement que des fautes voulues. Il s'y instaure une atmosphère pesante et oppressante. flash back, imagination, réalité, présent, futur, tout se mélange pour donner une sorte de feu d'artifice sobre, porté par une bande son monocorde.

Difficile de dire si "Bellflower" est un bon film. Evan Glodell joue avec sa caméra à l'épaule mais aussi avec le spectateur. On a l'impression qu'il se cherche, expérimente des techniques mais par moment il devient sérieux et cela devient vraiment très bon.

mardi 3 avril 2012

Panique à Needle Park, Jerry Schatzberg (1971)



Dans "Panique à Needle Park", Schatzberg se concentre sur un couple d'héroïnomanes, Helen et Bobby, éperdument amoureux l'un de l'autre. L'amour qui porte ce couple est ici le seul élément auquel on peut se rattacher. Les deux acolytes sont comme isolés, ne sont pas touchés par le temps qui passe, sauf quand il faut se procurer une nouvelle dose. Le film n'est porté pas aucune bande-son et revêt un aspect documentaire très poussé ( les scènes de piqûre sont très longues, en gros plan et quasiment insoutenables). Seuls les bruits agressifs ( Marteau-piqueur, circulation, klaxon,...) de la ville de New-York viennent apporter un fond sonore.

Un des points forts de ce film, c'est Al Pacino. Incarnant un jeune drogué un peu fou, il ne cesse de se déplacer de manière tonique et contraste avec la lenteur et la douceur de sa dulcinée Helen. Les scènes entre les deux acolytes sont par moment d'une très grande force et gardent toujours un côté un peu flou.

Apparemment " Panique à Needle Park" fût l'un des premiers films sur les dégâts la drogue, sur ces générations de hippies désespérés, sans grand espoir d'avenir. Il n'en reste pas moins un film à découvrir, pour son ambiance simplement glauque et pour le duo Bobby / Helen.


lundi 2 avril 2012

Il était une fois en Anatolie, Nuri Bilge Ceylan (2011)




Doté d'une esthétique quasi parfaite, « Il était une Fois en Anatolie » filme des paysages grandioses sur lesquels évoluent des âmes perdues, seules et isolées. La Nature, omniprésente dans la première partie du film, est tellement limpide que l'on se demande si le réalisateur n'a pas retravaillé ses plans avec l'aide d'un ordinateur( peut-être est-ce le cas?).


Mais ce qui est intéressant dans « Il était une Fois en Anatolie », c'est la simplicité trompeuse de ses personnages. L'intrigue policière, la recherche du cadavre, les dialogues... bref tout ce qui a trait à l'histoire n'est que secondaire et semble remplacer une bande son inexistante. Pourtant, ces dialogues sont primordiaux, car ils apportent une dimension absurde encore plus forte. Ceylan insiste beaucoup sur le regard et les émotions faciales de ses personnages, qu'il considère comme faisant partie intégrante du langage, cinématographiquement parlant. Dans son dernier film, le réalisateur magnifie le silence déraisonné du monde face à l'appel de l'Homme, l'interrogation interne des personnages est omniprésente, tout comme la peur.


L'humour est également inhérent au film et vient apporter un côté plus terre à terre à cette atmosphère en apesanteur. Sans forcément être récréatif, ce côté burlesque vient casser cette finesse aiguë imposée par la mise en scène, comme une sorte de transition humaine entre deux bouts d'éternité.


Globalement, « Il était une Fois en Anatolie » opère une lente plongée vers l'intérieur de l'Etre Humain. Au départ, la Nature s'impose par sa taille face à des hommes filmés souvent de loin et sur un pied d'égalité. Le procureur, un des personnages-clé du film avec le docteur, est très en retrait. On a du mal à déceler une forme de hiérarchie et seul le présumé coupable, malgré sa corpulence frêle et son apparence vulnérable, semble donner un sens à cette quête obscure et absurde. Puis la caméra se rapproche, l'histoire n'avance pas avec le Temps mais plutôt avec l'Espace. Au fur et à mesure que l'on se rapproche des deux personnages principaux, on semble pénétrer un peu plus ces intérieurs humains, tout en restant bloqués dans un questionnement prolifique sans fin, abstrait et empirique.


Ce qui est curieux dans le dernier film de Ceylan, c'est l'absence de femmes ou du moins leur présence au second plan. L'Anatolie filmée par le réalisateur ressemble un peu à la Grèce filmée par Angelopoulos, la terre remplaçant la mer. On y retrouve ces âmes perdues, qui ne semblent pas être à leur place, errant sans but, ne s'activant que pour les missions qu'on leur confient. Dans cette contrée désertique, on y ressent de l'ennui, du vide et très peu d'humanité. Les rapports entre les personnages sont froids et obscurs. Chaque visage manifeste une forme d'interrogation sur lui-même.


« Il était une Fois en Anatolie » est une fresque grandiose tantôt ennuyeuse, tantôt captivante. Ceylan filme de manière minimaliste des êtres humains en mouvement dans une Nature écrasante. Puis il filme un vide existentiel peuplé d'incertitudes plus ou moins concrètes, toujours de manière simple et naturelle. Et dans cette simplicité, la question « qu'est-ce qu'on fout là ?" trouve un peu plus de consistance... ou pas. A voir absolument!

dimanche 1 avril 2012

2h37, Murali K Thalluri, (2006)






Dans "2h37", on suit avec amertume quelques tranches de vie adolescentes imbriquées les unes dans les autres. Affirmation de soi, solitude, secrets inavouables, mensonges, préparation de l'avenir, primauté de l'apparence... tout est abordé dans "2h37" sous la forme d'un exercice de style. On pense d'abord à "Elephant", tant cette caméra interroge plus qu'elle n'informe. Mais Larry Clarke n'est pas très loin non plus quand Thalluri dépeint la cruauté de cet âge ingrat.

Si "Elephant" peut paraître ennuyeux, "2h37" se montre vivifiant et plus intimiste. Les quelques adolescents que l'on suit tout au long du film se confient à nous sous la forme d'interviews. Les différentes séquences du film sont montrées à travers le regard de chaque ado. De ces êtres fragiles en passe de devenir des adultes déterminés, il émane une extrême solitude, encore plus flagrante au milieu de cette foule de collégiens grouillante et anarchique.


Thalluri réalise ce film à l'âge de 22 ans, pour tenter d'oublier ou de comprendre le suicide d'une amie à lui. D'un point de vue technique, la réalisation est très intéressante car elle oscille habilement entre documentaire et fiction. On pourra certes reprocher un côté caricatural avec des problèmes clichés qui touchent les adolescents et des situations peu vraisemblables. Mais sans forcément pouvoir l'expliquer, "2h37" possède quelque chose, plus qu'une atmosphère, une sorte de blessure et de frustration qui se ressent jusqu'au moindre détail.

Romper Stomper, Geoffrey Wright (1992)





A mi-chemin entre "Orange Mécanique" et "American History X", "Romper Stomper" est un film bête et méchant, brutal et vide, simpliste et sans scénario. Bien que la première demi-heure soit plutôt réussie ( découverte des personnages, bastons dans un tunnel en clin-d'oeil à "Orange Mécanique", séquences filmées caméra à l'épaule,...), le film se montre ennuyeux quand il se met à conter une histoire d'amour niaise.

Quant aux acteurs, ils ne sont pas mauvais du tout, notamment Daniel Pollock ( qui s'est suicidé quelques temps avant la sortie du film) et Russell Crowe, assez convaincant en chef de bande néo-nazi.

Le film vaut quand même le coup d'oeil, ne serait-ce pour son début rythmé et réaliste.


mercredi 21 mars 2012

Sin Nombre, Cary Fukunaga (2009)



« Sin Nombre » fait partie de ces films chocs sur la violence des gangs. Comme dans « Gomorra », « la Cité de Dieu » ou « l'Âme des Guerriers », on y retrouve un excès de réalisme qui nous transporte dans un univers morbide et instable. La violence y est omniprésente, tout autant que le suspense. Dans « Sin Nombre », on suit avec impuissance cette course vers l'Eldorado, cherchant une lueur d'espoir ou une quelconque trace d'humanité. Et c'est là que l'on remarque tout le talent du réalisateur. A l'intérieur d'un univers délabré et glauque, Cary Fukunaga réussit à construire une histoire et insuffle de la vie à ses personnages.


Fukunaga s'est grandement investi dans ce film en allant vivre le quotidien de ces migrants tentant de rejoindre les États-Unis. « Sin Nombre » prend parfois l'allure d'un documentaire, laissant la parole aux habitants du film. Accompagné par une musique tantôt porteuse d'espoir, tantôt triste à mourir, le film revêt un caractère immersif, même s'il est difficile de garder les yeux ouverts devant certaines scènes insoutenables.

vendredi 9 mars 2012

Hors Satan, Bruno Dumont (2011)


Le Cinéma de Bruno Dumont est un Cinéma minimaliste, sans code ni morale. L'Homme fait partie intégrante de la Nature, il faut donc l'y inclure tel quel, sans comédie humaine. Recherche existentielle, expérience sensitive ou encore cinéma expérimental, les films de Dumont c'est du tout ou rien. Soit on s'immerge soit on s'ennuie.


« Hors Satan » est certainement le film le plus accessible de Bruno Dumont. Tout d'abord par sa photographie, filmant des paysages d'une beauté quasi irréelle. Le personnage principal, dont on ignore tout sauf la plastique, semble transcendé par cette Nature qui lui offre une exaltation simple et originelle. Ensuite, le film est très immersif, l'absence de bande-son au profit de la douce musique éolienne donne l'impression d'assister à un documentaire mystique sur le noyau dur de l'Etre Humain. Cette réalisation minimaliste nous permet d'observer les acteurs qui redeviennent eux-mêmes. Dumont interroge ses acteurs à travers sa caméra, les place dans des scènes bestiales pour donner une définition naturelle de l'Humanité. Enfin, « Hors Satan » semble avoir un scénario offrant une mission terrienne à son personnage principal.


Ce qu'il y a de flagrant dans le dernier film de Dumont, c'est l'absence de féminité. A part la routarde que le personnage principal rencontre, on ne peut faire de différence entre un homme et une femme si l'on est pas au courant de la chose auparavant. Si bien que le sexe est ici très peu présent physiquement et revêt un caractère fusionnel et mystique.


Bref, il est difficile de décrire un film de Dumont, celui là en particulier, bien que plus accessible. A l'instar de Cormac Mccarthy, le réalisateur accorde une part importante à la Nature et filme l'Homme tel qu'il a été il y a très longtemps. Un peu à la manière d'un ethnologue, Dumont porte un regard simple et profond sur les âmes perdues qui peuplent ses films. Dans « Hors Satan », il semble faire la part belle à l'invisible afin de stimuler notre ressenti.

jeudi 8 mars 2012

L'Ordre et la Morale, Mathieu Kassovitz (2011)



Dans son dernier film, Mathieu Kassovitz revient sur la prise d'otages de gendarmes par des indépendantistes canaques sur l'île d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, et sur la libération tumultueuse de ceux-ci. S'appuyant sur le livre du capitaine Legorjus, le réalisateur signe un film politique autant que psychologique.


Tout au long de son film, Mathieu Kassovitz incarne le rôle du capitaine Legorjus, traître malgré lui. C'est d'ailleurs ce personnage qui constitue le cœur du film. C'est à travers lui que l'on va prendre conscience du décalage entre la réalité du terrain et les décisions prises via Paris (en période d'élections présidentielles, ce qui n'arrange rien).

Legorjus semble scindé en deux entre l'ordre qu'on lui donne et sa morale qui lui dicte le contraire. Dans cet homme, il a le Capitaine, qui exécute son travail et obéit aux ordres. Mais il y a aussi l'être humain qui possède une morale inapplicable à la situation absurde dans laquelle il se trouve. D'ailleurs, tout au long du film, Kassovitz ne cesse de finir ses conversations avec ses supérieurs par un « Oui mon général » obligé.


L'Ordre et la Morale » est un film totalement immersif. La bande son est lourde, grave et créé une atmosphère pesante au possible. Les nombreux arrêts sur image et ralentis qui ponctuent le film apportent une proximité encore plus grande entre le spectateur et le film. On se retrouve littéralement happé par cette « guerre » au destin inéluctable. Le suspense y est très présent, surtout quand on ne connaît pas cette histoire tragique et absurde.

L'ïle d'Ouvéa est présentée comme un petit Vietnam, la végétation est dense, les otages quasiment impossible à trouver. Les armes utilisés par les ravisseurs sont ancestrales ( fusils à un coup) comparées à celles des forces de l'ordre. Les clins-d'oeil à Apocalypse Now sont presque visibles. Durant ces 2h10, on suit aux premières loges cette vaste opération cruelle.


Sans mauvais jeu de mot, ce film fout la haine. On en ressort écœuré. Kassovitz filme des indépendantistes Kanaks civilisés et réfléchis, à l'opposé de l'image que s'en font les autorités depuis le continent.

« L'Ordre et la Morale » est le fruit de 8 années de travail. Sa réalisation est soignée, tout comme le message qu'il véhicule. Pourquoi a-t-il reçu un si mauvais accueil chez les médias comme chez le public. On lui reproche un côté caricatural et salissant pour la France. Mais finalement, le film ne porte-t-il pas sur le destin d'un homme qui se retrouve perdu et isolé dans un marasme ambiant et inéluctable ? Les films à polémique ne plaisent pas, car ils obligent à parler du sujet dont ils traitent.


Il est clair que Kassovitz prend parti en tant que réalisateur, mais en tant qu'acteur il endosse le rôle du traître, pour mieux servir sa cause de réalisateur. Tout la finesse du film réside dans le personnage incarné par Kassovitz et non pas sur la prise de position du réalisateur

mardi 6 mars 2012

We Need To Talk About Kevin, Lynne Ramsay (2011)


Difficile d'avoir une opinion tranchée à l'issue de ce cauchemar. Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit d'un bon film. Filmant avec froideur l'incompatibilité relationnelle entre une mère et son fils, « We Need To Talk About Kevin » est un véritable thriller psychologique.


Dès le début du film, on assiste à une scène où une foule en liesse s'inonde de tomates. Cette séquence ressemble à un cerveau en ébullition dans lequel la réalisatrice cherche une solution au problème posé dans son film. Puis on entre dans le cœur du film, univers glauque en apesanteur dans lequel la couleur rouge est omniprésente. On sent ( lorsque l'on n'a pas vu la bande-annonce) qu'un drame s'est produit mais on ne sait pas qui est fautif. Est-ce la mère, qui a du mal à se débarrasser de cette couleur rouge ? Est-ce le fils, qui montre une prédisposition à la violence ?

Nous ne le saurons qu'à la fin du film même si on le devine bien avant.


Mais la force de ce film, c'est la relation ambiguë entre la mère et son fils. Quelle est la cause de cette froideur qui naît entre eux ? La naissance de Kevin oblige Eva à changer radicalement de mode de vie : déménagement, arrêt de son travail, perte de liberté,... Plus qu'une nouvelle responsabilité, Kevin devient vite une plaie saignante pour sa mère. Le visage d'Eva est livide, maigre, inexpressif, on n'y dénote aucun signe de chaleur humaine. Des efforts, elle en fait, en lui jetant un ballon (rouge) à maintes reprises attendant ne serait-ce qu'un semblant de retour... en vain.

Quant à Kevin, il porte le démon en lui. Sa lente évolution vers la psychopathologie commence par de l'arrogance pour se transformer très vite en pulsions destructrices.

Cette relation, fluctuante tout au long du film, est finalement dévastatrice pour tout le monde, y compris pour nous, qui en ressortons dérangés et indécis.


Même si le film est bon, il n'est pas exempt de défauts. On peut reprocher à la réalisatrice une certaine distance voulue avec son public. Un peu d'émotion et d'humanité auraient apporté une puissance supplémentaire au film. La seule humanité que l'on trouve dans le film est incarnée principalement par le père, personnage à la gentillesse excessive et au laxisme le plus primaire. C'est regrettable car les personnages de Kevin et d'Eva portent le film de manière sublime et effrayante à la fois. Les seconds rôles semblent un peu bâclés, sans doute est-ce une façon de vouloir effacer toute trace de vie normale pour porter un jugement plus réfléchi ?


Au final, « We Need To Talk About Kevin » est un film Lynchien qui possède une atmosphère pesante. Lynne Ramsay nous décrit, de manière anarchique, la lente transformation d'une violence psychologique en une violence physique, autant incompréhensible que prévisible. Mais la réalisatrice nous montre aussi la limite fluctuante entre la culpabilité et l'innocence. La couleur du sang est omniprésente et vient à chaque fois illustrer une composante de la relation entre Eva et Kevin. A voir.

samedi 3 mars 2012

Une Femme Fuyant l'Annonce, David Grossman (2011)



Longue odyssée à travers une Galilée universelle, « Une Femme fuyant l'Annonce » relate la fuite d'une mère (Ora) qui tente d'échapper à la probable annonce de la mort de son fils.


Ora, c'est la pureté rêvée par l'auteur mais aussi par chacun d'entre nous. Mère aimante et réconfortante, elle est aussi une femme libre et émancipée, possède une vision éclairée et objective de la situation qui l'entoure. Elle décide de chasser la mort en y insufflant de la vie, marie le passé au présent pour imaginer un avenir plus supportable. Shéhérazade des temps modernes, Ora ne peut compter que sur sa parole face à la Mort et la seule manière de vivre c'est de revivre par la pensée ce qui a déjà été vécu. On pense par moment au « Livre de ma Mère » d'Albert Cohen, tant Ora incarne la mère parfaite, toujours à l'écoute de ses enfants, les observant sans cesse d'une manière sublime.


Mais Ora, c'est aussi une idée, une vision, la vision idyllique de David Grossman. Dans ce « voyage au bout de la vie », l'auteur multiplie les messages de paix et de lucidité sur la cohabitation entre arabes et juifs, mais aussi entre les Hommes. Loin de tenir un discours hippie cliché et vide de sens, Grossman plonge littéralement dans les êtres peuplant son voyage, glisse sur leur peau, les fait vivre par la parole et surtout détruit par sa prose magique la bestialité de l'Homme. « Une Femme Fuyant l'Annonce » est un « conte à rebours » qui décrit avec finesse la pression psychologique quotidienne que subissent les Israéliens dans ce conflit sans fin. Mais au lieu de sombrer dans le Pathos, de décrire une situation tragique pleinement justifiée, Grossman extraie ses personnages du contexte pour en faire à la fois des héros mythiques et des victimes émouvantes, simplement humaines.


Grossman réalise un Grand Livre grâce à sa prose. Simple, limpide et calme, les phrases semblent flotter sur les pages dans une sorte de légèreté grave. La construction anarchique mélangeant les époques et les personnages vient renforcer ce sentiment de fuite, cette volonté de trouver rapidement un sens à la Condition humaine. Les passages qui décrivent Ora enceinte sont d'une poésie et d'une douceur à couper le souffle. Par moment cette prose émoustille nos sens, on se met à la goûter et à la sentir. Cet arôme donne un peu plus de corps aux personnages tout en nous plongeant dans une contemplation fantasmée de la vie.


Bref, « Une Femme Fuyant l'Annonce » est un chef-d’œuvre qui se termine par trois petits points. Universel et volontairement ouvert, le roman est une initiation à ce que l'on connait déjà mais que l'on ne voit pas. Magnifique.

lundi 27 février 2012

Ghosts...of the Civil Dead, John Hillcoat (1988)




Avec "Ghosts...of the Civil Dead" John Hillcoat met un coup de poing à la gueule de la société... en commençant par celle du spectateur. Il est rare de voir un film possédant une telle violence psychologique et physique. Basé sur une histoire vraie, le film se gorge de haine ambiante de seconde en seconde jusqu'à l'explosion finale.

Pourtant le film commence sur un long travelling filmant le désert australien dans lequel se trouve la prison. Les grands espaces que l'on peut apercevoir ne sont pas là pour donner un sentiment de liberté mais plutôt pour annoncer un isolement total.

Puis le réalisateur opère une lente plongée dans cette prison haute sécurité et le film se transforme en huis clos dont on ne ressortira pas indemne. Chaque personnage est présenté succinctement, en tant que prisonnier et non en tant qu'homme. Le film se met alors à osciller entre fiction et réalité, et se travestit en documentaire fictif.

Véritable psychanalyse du milieu carcéral, "Ghosts...of the Civil Dead" dénonce avec brutalité et de manière primaire la condition humaine dans les prisons. Faits réels ou pas, le procédé utilisé est le même que Bunuel dans "l'Ange Exterminateur". John Hillcoat cloisonne ses personnages et les isole à outrance pour en observer les conséquences. Il en résulte une anarchie primaire où chaque personnage devient un animal dangereux, même en cage. Nick Cave, qui a également co-réalisé ce film est d'ailleurs plus qu'impressionnant dans ce film. Le mot animal n'est d'ailleurs pas assez fort pour décrire cette explosion de violence et le film est à deux doigts de devenir un film d'horreur vers la fin, le réalisme en plus.

"Ghosts...of the Civil Dead" est un mauvais moment à passer sur le plan humain car il sonne plus que juste. Mais il est rare de voir tant d'intelligence émaner de la bestialité.

Un temps pour l'ivresse des chevaux, Bahman Ghobadi (2000)


« Un Temps pour l'Ivresse des Chevaux » aborde avec gravité le quotidien d'un petit village dans le Kurdistan iranien, à la frontière avec l'Irak.

Les enfants y sont livrés à eux-mêmes, vivent comme des adultes par obligation mais aussi pour survivre. L'esprit de communauté semble présent à l'intérieur du village mais il ne peut faire face aux difficultés de chacun. La Nature environnante est cruelle et ces montagnes enneigées sont de véritables obstacles pour le commerce de contrebande qui s'effectue de part et d'autre de la frontière.

Même les chevaux peinent à arpenter ces massifs, si bien qu'on leur verse de l'alcool pour soulager leur douleur.


Tout au long du film, on suit plus particulièrement le quotidien de trois enfants dont le petit Madi, atteint d'une maladie hormonale. Même si ce petit être frêle apporte au film un côté pathétique un peu trop corsé, on ne peut qu'être ému par ce personnage qui amène un peu d'espoir et d'humanité dans le film.


A mille lieues de « Persepolis » ou des « Chats Persans », ce film montre l'Iran en dehors de Téhéran et laisse de côté tous les problèmes sociétaux et religieux que l'on connait. Pendant un peu plus d'une heure, on suit le calvaire redondant de ces habitants qui semblent coupés de tout. L'âge des personnages est totalement effacé par une misère et une précarité extrême. Enfants et adultes tiennent les même discours, seul le petit Madi ne peut s'extraire de sa jeunesse.


Au final, la caméra de Bahman Ghobadi filme avec tendresse et réalisme cette triste réalité qu'endurent ces habitants travaillant comme des fourmis, seulement pour pouvoir survivre. « Un Temps pour l'Ivresse des chevaux » a nécessité deux ans de tournage et le réalisateur s'est endetté pour pouvoir terminé le film. Quand on voit le résultat, on ne peut que lui donner raison et l'encourager à continuer dans cette voie.


dimanche 19 février 2012

Memories of Matsuko, Tetsuya Nakashima (2006)


"Memories of Matsuko" est un film complètement déjanté. Par ses couleurs criardes tout d'abord, qui se démarquent d'un cinéma asiatique plutôt terne. Par ses personnages qui ressemblent à ceux de Takeshi Mike, le lyrisme en plus. Par son histoire, retraçant la vie d'une matyre des temps modernes.

Le film se présente sous la forme de flash-back relatant les déboires d'une femme aimante. Et ce qui est bizarre, c'est que cette frêle personne ne connait pas la rancune. Elle encaisse les coups puis pardonne, gagne son paradis sans le savoir.

Dans les premières minutes, le film semble prendre une tournure plutôt comique, même si l'histoire ne s'y prête pas forcément. Mais très vite, on sombre dans un lyrisme ambiant, entrecoupé de scènes violentes et cruelles.

Puis le film traînera finalement en longueur, surtout dans la dernière demi-heure. Sans gâcher pour autant le voyage, cette langueur coupe le rythme de l'histoire pourtant si entraînante.

Ce qui est bizarre mais plaisant dans ce film, c'est la cohabitation entre la poésie et la niaiserie. Le côté kitsch vient amplifier ce côté ridicule tout en posant une ambiance délurée. Un film comme on a pas l'habitude d'en voir tous les jours. A voir.

samedi 18 février 2012

Café de Flore, Jean-Marc Vallée (2012)


Attention spoilers
Film à voir sans avoir lu aucun résumé

"Café de Flore" est composé de deux histoires, l'une dans le Paris de la fin des années 60, l'autre à Montréal de nos jours. La Musique y est omniprésente, et notamment le morceau "Café de Flore" de Matthew Herbert.

Expérience visuelle et sensorielle, "Café de Flore" est un film immersif qui réfléchit au moyen d'images poétiques. Les dialogues ne constituent pas le corps du film et la musique redondante vient amplifier notre ressenti. La Musique est ici un moyen de pénétrer davantage l'âme blessée des personnages, ces rythmes répétitifs mais beaux semblent être la principale arme pacifique du réalisateur. Et c'est finalement cette bande son qui fait la beauté des images, la plupart du temps.

Le film de Jean-Marc Vallée est foncièrement simple dans son propos: Une femme n'accepte pas la rupture avec son mari, à qui elle a voué un amour éternel. On peut imaginer qu'elle va voir un psy ou un médium ( selon ce que l'on veut y voir) pour exorciser ce mal. Et c'est en voyant le résultat du film que l'on remarque tout le talent du réalisateur.

Un peu à la manière de David Lynch, l'inconscient prend une forme réelle et rationnelle dans ce film. Toute l'histoire dans le Paris des années 60 n'est en fait que le cheminement psychologique interne de Carole, qui fait le deuil de cet amour. Mais Jean-Marc Vallée romance son film en ajoutant des détails dans les deux histoires, les enrobe de poésie pour leur donner de la consistance. Si bien que ces deux histoires désormais indissociables à la fin du film semblent deux réalités à part entière. L'histoire se déroulant dans le Paris des années 60 a laissé en apesanteur des atomes qui ont été captés par Carole à notre époque. Il plane, à la fin du film, comme une atmosphère qui transcende le film. On a l'impression que le réalisateur a joint deux bout de réalités pour fabriquer un néant psychique indispensable aux personnages du film.

"Café de Flore" est un petit bijou qui bouleverse et qui régale. Même si l'on ne sourit que très rarement, on ne peut qu'être happé par cette esthétique réussie accompagnée d'une musique immersive. Ceux qui y chercheront une réflexion ou un message y trouveront seulement de la naïveté et du vide.

My Little Princess, Eva Ionesco (2011)



Témoignage d'une femme à l'enfance gâchée, « My Little Princess » nous plonge dans une réflexion sur l'Art, l'érotisme et la pudeur.


Tout d'abord, nous ne ressentons que très peu d'émotion tout au long de ce film. Le sujet traité impose une distance entre le spectateur et le film, même si l'on n'est pas au courant qu'il s'agit d'un film autobiographique. Mais surtout le personnage de la photographe incarné par la sublime Isabelle Huppert vit dans son monde. Anna (Isabelle Huppert) semble libérée de toute contrainte morale. Elle apparaît comme une photographe qui libère ses pulsions en les immortalisant sur des clichés.


Au début du film, on s'attend à ce que le film soit une critique de l'Art dans ce qu'il peut comporter de novateur et de déviant. Mais finalement, on replonge vite dans un cinéma intimiste froid et hermétique en se focalisant sur la relation mère / fille, sur le plan artistique comme relationnel.


Ce qui est sûr, c'est que ce film a une valeur cinématographique, ne serait-ce par les excellentes prestations d'Isabelle Huppert et d'Anamaria Vartolomei. Isabelle Huppert excelle lorsqu'elle incarne l'Excentricité, elle semble incontrôlable et imprévisible tout en vivant pleinement ses émotions et ses pulsions. Quant à Anamaria Vartolomei, elle est époustouflante. En espérant que ce rôle ne lui gâche pas le reste de sa vie, elle endosse à merveille ce rôle d'enfant-objet. On sent qu'à travers Violetta, c'est Eva Ionesco adulte qui s'exprime. Les dialogues comme les réactions de l'enfant sont très matures.


« My Little Princess » est également une réflexion sur l'Erotisme et sur le corps de l'enfant. A travers une mise en scène scabreuse, le visage pur de la petite Violetta contraste avec un unviers morbide et destructeur. Pourtant la métamorphose de l'enfant est spectaculaire. L'Erotisme prend tout son sens et ce petit être frêle pas encore formé dégage des messages de femme. Mais ce qui est fort dans cette métamorphose, c'est qu'elle est aussi psychologique. Violetta semble prendre part à cet érotisme et sortir en partie de son rôle de victime.


Au final, un film qui laisse perplexe sur le sujet qu'il aborde mais qui pousse à réfléchir sur la nature profonde de l'image humaine.

vendredi 10 février 2012

Le Cochon de Gaza, Sylvain Estibal (2011)





Apporter l'humour et la décadence occidentale sur la bande de Gaza pour tourner en ridicule le conflit israélo-palestinien, tel est l'objectif du « Cochon de Gaza ». Et il faut avouer que c'est plutôt bien réussi.


Tout au long du film, on suit l'histoire de Jaafar, pêcheur de Gaza, qui retrouve un cochon dans ses filets. Bien que dégoûté par le vil animal, il entrevoit rapidement la possiblilité d'un commerce avec les colons, qui utilisent les cochons pour désamorcer les bombes. Jaafar est donc chargé d'apporter de la semence de porc aux colons avec les moyens du bord.


Comédie burlesque et subversive, « Le Cochon de Gaza » décrit l'absurde par l'absurde. Sur un ton très léger, le film aborde des thèmes de fonds comme la cohabitation entre juifs et arabes ou "l'Occupation" vide de sens. Mais la force de cette comédie, c'est la mise en avant des points communs entre juifs et arabes : le soldat israélien et la femme de Jaafar regardent le même feuilleton télévisé et nouent un début de relation humaine, en discutant des sentiments des personnages qu'ils voient évoluer. Mais chacun rêve d'un chez soi. Le soldat israélien veut rentrer à Tel-Aviv, la femme de Jaafar veut que les colons s'en aillent pour retrouver un semblant d'intimité.


Toujours avec cette légèreté profonde, « Le Cochon de Gaza » parvient à montrer les relations contrastées entre les deux peuples. Ils se détestent officiellement mais se ressemblent humainement, quotidiennement comme culturellement. Mis à part les habits, on a l'impression qu'il n'y a qu'un seul peuple. Ce « peuple hybride » semble se parler à lui-même tout en n'étant pas d'accord sur une même idée bien que pensant la même chose. La scène où un groupe de palestiniens, un plot de chantier à la main, débute un dialogue de sourd avec un groupe d'israéliens, un haut-parleur à la main, est très représentative de cette absurdité ambiante. Les palestiniens paraissent semblables aux israéliens, la classe sociale en moins.


Enfin, on ne peut parler de ce film sans évoquer le fameux cochon. Comme le chien dans "The Artist", le cochon est un acteur à part entière dans le film. C'est la petite touche irréelle qui vient apporter un peu de réalisme, une sorte d'introduction au gag sérieux que constitue le film. C'est finalement le seul personnage qui semble libre dans le film. Et putain que ça donne faim tout ça!!


Bref, « le Cochon de Gaza » est une comédie courageuse et intelligente, drôle et émouvante, lucide et utopique ( la scène finale est très réussie). Peut-être que ce genre de film donnera des idées aux réalisateurs israéliens et palestiniens et fera émerger un cinéma subversif comme on peut l’apercevoir en Iran par exemple. Le cinéma israélien a tendance à faire de l'occidental, en traitant de sujets tels que l'homosexualité ou le terrorisme. Il y a très peu de films ( à ma connaissance) qui traitent du conflit israélo-palestinien de manière intelligente. Pourtant Israël comme la Palestine, tout comme le regard que les pays alentours portent sur ces deux moitiés de pays, pourrait en sortir changé. Le Cinéma a cette force là, autant l'utiliser.

dimanche 29 janvier 2012

Tous les matins du monde, Corneau (1991)

Quel film pourri!!! Le livre de Quignard était passable, l'adaptation a réussi à faire pire. Déjà le casting: Depardieu ( père et fils) dans le rôle d'un homme qui aime la musique. Avec tout le respect que l'on peut avoir pour Depardieu ( les Valseuses!!!), le voir en homme doté d'une certaine finesse et d'une mélomanie confère à l'absurdité la plus abjecte. Jean-Pierre Marielle, même si plus fin que Depardieu, est peu crédible lorsqu'il se met à jouer de la viole, tant sur le plan technique que sur le plan sensitif.

Le problème c'est qu'il ne s'agit pas d'un navet. Un navet ça fait rire, c'est grotesque et parfois divertissant. Là, on se fait chier tout en se rendant compte qu'un ou plusieurs hommes ont réfléchi derrière l'écran. Un casting foiré, une mise en scène foirée, un réalisateur foireux sur ce film.