Odyssée apocalyptique en huis clos à travers
la Condition Humaine, l'Existence et la fin du monde, « Le
Cheval de Turin » transpire la redondance de la vie et pose un
constat pessimiste sur le devenir de l'Homme.
Pendant 2h30, on suit les gestes
répétitifs d'un cocher et de sa fille dans leur ferme. Se lever,
s'habiller, aller chercher de l'eau, manger, se déshabiller,
dormir,...tel est le schéma de cette survie rituelle et quotidienne.
Le cocher, sorte de mélange entre
Jamel Debbouze et le Christ, ne peut pleinement participer aux tâches
quotidiennes du fait de son bras invalide. Mais il dirige toujours sa
fille d'un ton patriarcal et autoritaire.
Sa fille, frêle et froide, redouble
d'efforts pour arriver au but final de la journée : déposer
deux pommes de terre dans son assiette et celle de son père. Pour
cela, elle lutte contre des vents violents pour aller chercher l'eau
du puits, donne à manger au cheval, maintient le feu allumé,
habille son père,...
La relation entre le cocher et sa fille
est humainement inexistante. De simples regards suffisent à
déterminer la volonté de chacun. Par moment la fille émet un
« c'est prêt » pour signifier que les deux pommes de
terre sont dans l'attente d'être mangées. La fenêtre de la ferme fait ici office de télévision existentielle à travers laquelle on recherche une image concrète, en vain mais sans espoir. Spectateurs de la non-vie, ces deux animaux humains subissent les affres du vide malgré une apparence des plus simples.
Pourtant, de ce néant humain, de cette
répétition sans fin, de ce silence insistant, il émane une force,
celle de la confrontation avec la Mort. A table, les deux sujets se
regardent, lisent dans le regard de l'autre l'incompréhension
existentielle. Sans le savoir réellement, ils dépriment, sans se
lamenter ils se plaignent de par leur apparence. Cette relation est
triste à mourir et pourtant si belle d'un point de vue
cinématographique en nous offrant un muet criant de désespérance.
Pour approfondir son regard, Bela Tarr
ajoute l'insistance de sa caméra à une Nature hostile et menaçante.
L'apparition d'un homme trivial et loquace puis celle de tziganes
convoitant l'eau du puits ne ressemblera qu'à des événements
oppressants, confirmant ainsi une extrême solitude.
Puis il y a ce cheval, élément clé
du film. C'est lui qui ouvre le film d'une démarche majestueuse, en
lutte avec le Temps. Son calvaire semble infini et pourtant un beau
jour, il refuse de s'alimenter, de sortir. Il incarne la Vie puisque
de lui dépendent le cocher et sa fille. Comme dans « Au Hasard
Balthazar » de Bresson, ce cheval arbore un visage plus fin et
plus subtil que ses maîtres.
Ce cheval, c'est une idée, une voie
vers le Surhomme peut-être, puisqu'il est question de Nietszche au
début du film. Mais il peut tout aussi bien représenter le suicide
de l'Homme, seule dérobade à la vie.
Enfin, dans « Le Cheval de
Turin », Bela Tarr joue avec les nuances de son et de lumière.
Il opère des plongées vers la réalité, oscillant entre
documentaire et fiction. Filmant de grands plans avec une musique
magistrale en fond, il laisse petit à petit apparaître les petits
bruits du quotidien, pour nous signaler que l'on entre en territoire
humain, délaissant le comédien au profit de l'Homme. Les dernières
images, d'une obscurité totale, annoncent peut-être la fin du
monde, ou peut-être la fin d'un monde...
Le chef-d'oeuvre de Bela Tarr.
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