mercredi 3 juin 2009

Chair Joystick



Début d’après-midi, temps ensoleillé, quelque part, Xavier revient de son rendez-vous avec l’assistante sociale. Après avoir versé quelques larmes sèches, l’entretien s’était conclu par une prochaine rencontre afin d’affiner le profil de son mal-être décidemment coriace. A l’aide de sa télécommande, Xavier ouvre le portail automatisé de l’humble demeure familiale et ne peut s’empêcher de revoir son camion couvert de feuilles, signe d’un passé de teufeur révolu. Arrivé dans la salle à manger, il se précipite devant son ordinateur et lance son jeu favori après avoir vérifier que tout le monde était bien aller bosser.

Alors que le jeu se charge, Xavier sort son joystick de l’emballage et repasse le tapis afin de bénéficier d’une utilisation optimale. Le principe de ce jeu interactif est très simple, il s’agit de se concentrer au maximum et de rentrer dans la peau fictive du personnage de son choix puis de tirer sur son adversaire avec le joystick. Certains préfèrent s’identifier aux femmes, plus coopératives, alors que d’autres choisissent de s’allier à l’homme et de tirer avec lui.

Bref, on n’a pas le temps de s’attarder sur les règles du jeu car Xavier, prit par une frénésie incroyable, s’est déjà lancer dans sa partie et commence à préparer son tir. Le combat est rude car il a opté pour le niveau 4 et plusieurs personnes entrent en jeu. L’embarras du choix est ici synonyme de complexité, sur qui tirer ? Les deux hommes qui sans scrupules prennent pour cible une femme inconsciente et désarmée ? Ce chien errant, qui coure sur le plateau, le fusil chargé prêt à dégainer ? Ces deux femmes qui exhibent deux kalachnikov sans munitions ? Ou peut-être vaut-il mieux s’immiscer dans ce face-à-face qui oppose une femme désirant se finir en HARA-KIRI à un homme tentant de tout se faire péter à la gueule ? Ce qui le perd, c’est de savoir qu’il y a d’autres parties après, autant qu’il le souhaite. Ce qu’il veut c’est tirer au bon moment, dans le feu de l’action.

Mais le hic de l’histoire, c’est le retour de ses parents, qui l’incite à faire vite. Peut-être aura-t-il le temps d’une autre partie ? Combien de fois cela était arrivé que ses parents ou son frère rentrent à l’improviste et l’oblige à courir dans sa chambre, le joystick caché sous le T-Shirt.
Il prend alors le parti de la femme, victime de deux hommes dotés d’armes ultra puissantes comparées à la sienne. S’ensuit alors des va-et-vient entre sa cible et lui-même. Il ignore les deux hommes et concentre ses efforts sur ce point rouge qu’il faut atteindre à tout prix. Tout s’enchaîne, la partie touche à sa fin, mais Xavier n’est pas encore prêt à tirer son unique coup. Il s’acharne, il va y arriver, il est confiant. Mais à son grand désespoir, l’écran affiche GAME OVAIRE !! YOU’RE A LOOSER !!! Désespéré, Xavier presse sur la gâchette, mitraille l’écran noir et ressent une frustration extrême à laquelle s’ajoute une honte des plus impitoyable lorsque son frère entre dans la maison et le découvre le Joystick à l’air. Ce dernier éclate de rire et part dans sa chambre faire une partie sur son ordinateur portable avec wifi intégré.
C’est fini, plus jamais il ne rejouera à ce jeu débile et inutile. Pourtant après quelques jours, Xavier lançe une nouvelle partie, cette fois-ci des plus gratifiantes…

Berlin Alexanderplatz, Rainer Werner Fassbinder (1980)


Adaptation à l’écran du très mystique roman de Döblin, « Berlin Alexanderplatz » se présente en treize parties et un épilogue. Fleuretant de manière intime avec le théâtre, cette épopée se concentre sur une sorte de « trinité » terrestre : au nom du désir, de l’honnêteté et du pardon. Pendant plus de 15 heures, le Grand et précoce Fassbinder dépeint un univers en voie d’extinction où l’Homme agit et réagit comme une bête. Très vite, on quitte l’identité, la spécificité et l’âme du Berlin des années 20 pour faire corps avec un lieu commun et intemporel, simplement en crise.

En suivant au plus près le cheminement tragique de Franz Biberkopf, ancien détenu qui a fait vœux d’honnêteté, le spectateur observe la misère d’un monde sur le déclin, dans lequel aucune solution viable et honnête n’a lieu d’être. Ces signes apocalyptiques se manifestent par une lumière qui clignote, hésite à s’éteindre de manière continue et agresse la bonté des personnages que l’on aimerait voir réussir ou du moins vivre normalement.
A cela s’ajoute une musique lancinante qui revient en boucle, traduisant la faiblesse culturelle redondante de ce bas monde mais non dénuée de beauté. Par ses mouvements de caméra, Fassbinder observe ce chaos sous tous ses angles. On plonge ainsi dans le corps meurtri de notre héros martyr, puis on observe comment les autres martyrs, ceux dont on ignore l’identité mais dont on connaît l’histoire, se comportent d’un point de vue extérieur. De même, toutes les couches de la société, mis à part les bourgeois qui ne paraissent exister que dans les discours des révolutionnaires, sont passées au peigne fin. On se heurte à la carapace malsaine du voyou Reinhold, on se noie dans l’océan de remords qui submerge Meck, le meilleur ami de Franz, ou encore on glisse sur le visage angélique de Mieze, sa fiancée. Nombreux sont les messages qui nous sont offerts à travers ce jeu de caméra sur la plastique des personnages.
Enfin, l’image semble faite de peinture, aucun trait n’est parfaitement net, comme si l’on avait écrasé toutes ces informations pour en faire ressortir l’essentiel. A ces couleurs qui accroissent les sentiments des personnages, en bien comme en mal, le réalisateur utilise des dégradés qui laissent apparaître un monde en équilibre capable du meilleur comme du pire, de se relever comme de sombrer dans un abysse sans fond. Cette particularité permet à Fassbinder de ne pas juger les hommes mais plutôt l’Homme ce qui nous amène à observer le bien et le mal sans aucun parti prit et aller plus loin dans une réflexion où la subjectivité serait apparue comme un frein.

Fassbinder filme également le désir, la fidélité et la place de la femme. Cette dernière apparaît sous toutes ses facettes. Meurtrie, aguichante, calculatrice, naïve, aimante, autant de profils présentés sous une forme toujours digne et esthétique. Tous les aspects plastiques des femmes de cette fiction s’apparentent à la préciosité, celle qui sera incarnée par Lili Marlene dans son film suivant. Le corps de la femme est une chose, son âme en est une autre. Franz accepte que ses femmes se prostituent, se fassent entretenir, du moment que les sentiments ne quittent pas le domicile conjugal.
De même, durant les 15 heures, on n’aperçoit aucun jeu de séduction, les affinités paraissent s’établir de manière spirituelle, dès le premier regard, à l’exception des femmes objets, convoitées uniquement pour leurs chairs.

Puis il y a cet épilogue, l’heure du Jugement Dernier pour Franz et ses pairs. Cet ultime épisode, contrairement à ses prédécesseurs, n’est pas annoncé par un générique. On se retrouve directement dans le purgatoire psychique de Franz. Dès les premières scènes, on se dit que Lynch n’a rien inventé, tant la dimension surréaliste et les décors crèvent l’écran. On assiste à la séparation entre l’âme et le corps de Franz, assimilé à Job de l’Ancien Testament. Bien que son corps semble rétabli, son âme reste malade, les souffrances qu’il a infligées et subies sont toujours présentes. Il porte toute la souffrance du monde en lui et la crucifixion comme pénitence semble être le seul moyen pour rendre viable son âme dans l’au-delà. Magnifique.

La Bile


Au commencement était la gerbe. Celle qui nous a fait mal pour avoir la reconnaissance des autres lorsque nous étions adolescents. Celle qui finalise une surestimation de soi et nous prive de fleurs sous l’arche de l’ébriété. Celle qui devient une habitude que l’on crache avec dédain en souriant, comme une coutume joviale en quelque sorte. Celle qui arrive trop tôt parce qu’il y en a trop eu avant.

Puis il y a ce moment qui la précède, celui où l’on est euphorique, à l’intérieur ou pour les autres. On s’extasie sur un solo de guitare, un clip de Youteub, ou tout simplement sur le discours d’un humain que l’on adore sur le moment tant il brille par sa façon d’argumenter sur ce qu’il n’a jamais su en étant sobre. On est fasciné par ces artistes qui écrivent entre les lignes, on se sent exister, plus de problèmes connus ou à venir, mis à part celui de se procurer toujours plus à boire.

Enfin il y a la sobriété, celle qu'il faut combattre au plus vite, la cause de tous les maux. Dans ce lamentable état, on fait des plans, on tente de s’en sortir à tout prix. Alcool fort ? Vin rouge ? On se tâte, on regarde son porte-monnaie et on opte pour le vin rouge quitte à y ajouter un peu de coca s’il est dégueulasse. Quand on est sobre on ne vit pas le présent, on envisage notre futur en gramme d’alcool, on recherche cette énergie et ce courage métaphysico-cérébral que refile généreusement ce liquide exemplaire et sain.