mardi 25 novembre 2008

Job, zonard d'intérieur Partie 3

Il décida donc de sortir au grand jour, ce qui ne lui arrivait que très rarement. Sur la route qui faisait face à son immeuble, d’ordinaire très fréquentée, il découvrit un spectacle loufoque. Une immense table ronde était posée à cheval sur les deux voies et autour de celle-ci se trouvait une multitude de personnes en train de boire à l’aide d’un système ingénieux qui leur évitait tout effort inutile. Plus Job s’approchait de la cène, plus il entendait des discours à sens unique. Personne ne s’écoutait, chacun était parti dans son trip, ne se parlant qu'à soi-même et se taisant uniquement pour boire le vin contenu dans un tonneau au centre de la table au moyen d’un tuyau d’arrosage. Les acolytes parlaient de Culture, une kalachnikov à la main, et prenaient par moment un ton menaçant qui effrayait la plupart des curieux. Job, malgré quelques appréhensions, se joignit à eux et bizarrement, son unique présence appela les congénères à retrouver leur calme.
Avant de prononcer la moindre parole, Job aspira dans le tuyau mis à sa disposition et reconnut là un vin semi-métaphysique qui lui ferait volontiers son repas de midi. Puis il s’aperçut très vite qu’il avait affaire à des notables qui discutaient là l’ordre du monde pour les autres, mais resta quand même car ce vin l’enrichissait de gorgée en gorgée. Les discours étaient devenus très ordonnés et un chien venu de nulle part distribuait la parole à chacun. Job, qui n’avait que ça à faire, écouta ces êtres étranges prononcer leurs vœux. Le premier exposa son point de vue : « Quelle est le rôle de la Culture sinon le contrôle des masses ignorantes ? Occuper le temps libre de ces gens est une nécessité mais le contrôler n’en reste pas moins une obligation ! Nous avons fait taire les élites bien pensantes en noyant l’individu lambda dans une mer d’informations. Tout est accessible aujourd’hui, n’importe qui est en mesure d’accéder aussi bien à des contenus intellectuels qu’aux contenus que l’on préconise. Nos opposants s’époumonent afin d’orienter les masses vers ce qu’ils pensent être un bienfait mais ne comprennent pas qu’ils ont perdu le combat depuis longtemps. L’Etre Humain est désormais corrompu dès sa naissance, seuls quelques électrons libres subsistent mais se sentent rejetés tant les individus qui les entourent semblent différents. Nous avons gagné ! Trinquons à notre victoire !! »
Tout le monde applaudissait sauf un petit individu frêle et discret qui paraissait en pleine réfléxion. Il se leva, pissa sur la table, et entama son discours : « Tout d’abord, sachez que je vous emmerde, je tenais à préciser cela avant de commencer. Je vous trouve particulièrement optimiste sur votre victoire, car il me semble que vous ne connaissez pas votre peuple. Vous pensez le maîtriser car il vient déposer un morceau de papier, dont il ignore l’identité profonde, dans une urne. Tout le monde possède sa propre culture mais celle-ci vous échappe. Vous croyez asservir une population mais ce n’est qu’une image. Certes vous tenez les rênes, vous ETES AU POUVOIR, mais ce n’est pas une victoire. Je milite pour que cette culture émerge en parallèle de la votre et j’y parviendrai. Quand je serai au pouvoir vous verrez comme les choses changeront, les gens seront heureux !! » Le petit homme frêle s’applaudit tout seul et seul le chien paraissait enthousiaste en remuant la queue.
Les regards se portèrent sur Job qui sentait son tour venir. Déjà un peu saoul, il se lança alors dans son rôle de tribun: « Tout d’abord buvez !!! Je veux voir le fond de ce tonneau !! Il faut que vous vous détachiez de vos vies, que vous redeveniez ces êtres humains que vous avez peut-être été un jour ! » Le tonneau gargouilla très vite et le fond laissa apparaître une phrase « made in China ». L’Euphorie et les blagues vaseuses prirent le dessus sur les discours ringards entendus auparavant. Bien qu’il fût à peine midi, la nuit tomba et la vraie faune fit son apparition. La route se transforma en un tapis roulant et la ville commença à défiler devant eux. Loin détenir la vérité, Job se lança dans un simple commentaire : « Que voyez-vous défiler devant vous ? Connaissez-vous ces gens, avez-vous eu déjà affaire à eux ? Regardez ce groupe de jeunes qui chante des artistes sur lesquels vous n’avez aucune emprise, croyez-vous qu’ils s’intéressent à vos balivernes ? Ces jeunes qui font un concours de 8.6 en ont-ils quelque chose à faire de votre culture ? Voyez-vous ce couple en train de faire sa petite affaire devant l’entrée de la cathédrale ? Les véritables valeurs humaines se trouvent ici et nulle part ailleurs. La culture ne pourra jamais être imposée, quelque soit sa nature. Elle démarre d’une rencontre ou d’une passion et cela vous ne parviendrez jamais à l’empêcher. Quand vous serez vieux et que vous vous retournerez sur votre parcours, vous n’y verrez que des situations, des jolis voyages et une femme qui vous aura fait porter de nombreuses paires de cornes. L’Ambition vous aura fait passer à côté de la vie. Je ne dis pas ça pour vous, mais pour vos enfants. Faites les dégénérer avant qu’ils ne suivent votre exemple !! Sur ce, la visite est terminée, je ne suis pas assez saoul pour supporter votre présence plus longtemps. » Lorsque Job les regarda une dernière fois avant de partir, les notables dormaient tous la tête sur la table, une flaque de gerbe les berçaient doucement…

lundi 24 novembre 2008

Job, zonard d'intérieur Partie 2

C'est ainsi que Job devint peu à peu sociable. D'un simple dialogue quotidien avec l'épicier du coin visant à acquérir de la matière socialisante au moyen de billets donnés allègrement par l'Etat, il en était arrivé à discuter avec tous les marginaux qu'il venait à rencontrer au fil de ses échappées nocturnes. Son esprit très vif lui permettait de distinguer les personnes intéressantes des étudiants qui se prenaient une cuite par semaine tout en se la jouant alcoolique. Par moment, quand les substances ingérées le transformaient en quelqu'un d'autre, il aimait discuter avec ces derniers dans le but de les choquer. Son éducation perverse était devenue une arme, voire une utilité dans certains cas. Combien d'alcoloétudiants avaient fini par gerber devant lui à force d'écouter ses propos extrêmes et à chaque fois un petit sourire sadique et satisfait se dessinait sur son visage.
En revanche, il aimait se dévoiler et parler de ses angoisses profondes lorsqu’il rencontrait des personnages haut en couleurs. Parmi eux, on trouvait de nombreux SDF bien sûr mais aussi des jeunes vieux qui n’avaient pu ou voulu se sortir de convictions trop extrêmes. Un soir, Job avait partagé sa bouteille avec un vieux zonard d’une trentaine d’année. Ce dernier avait tatoué les évènements marquants de sa vie sur l’ensemble de son corps. Bien que difficile d’accès dans un premier temps, la bouteille de vin rouge l’incita peu à peu à se dévoiler. Entre les prénoms de ses chiens, de ses aventures d’un soir et de ses potes partis trop tôt, on distinguait des paysages moroses sur ses avant-bras. Il disait s’être fait ça avec la seringue de la veille lorsque la descente devenait trop dure à gérer. Comme s’il fallait imprimer sur sa peau ce que l’on aimerait oublier. Job l’écoutait attentivement même s’il ne parvenait pas à comprendre tous les propos de cet être marginal.
L’univers de la drogue n’avait jamais attiré notre RMIste assidu. En effet il se complaisait dans l’alcool et le tabac car il y trouvait toute la folie nécessaire à sa survie. C’est d’ailleurs grâce au vin rouge qu’il rencontrât un soir la « femme » (c’est comme ça qu’il la nomma tout au long de sa relation avec elle) qui devait partager un bout de vie avec lui avant qu’il ne la remplace par l’amour d’un chien, bien plus fidèle et durable. Mais ce que Job préférait par-dessus tout c’était les gueules de bois. Elles lui apportaient une grande lucidité et l’amenaient à réfléchir sur lui-même tout en le confortant dans son alcoolisme. Il réalisait combien embrasser une carrière était ridicule et vide de sens. A quoi bon progresser puisque l’on chute à la fin ? L’essentiel pour lui résidait dans l’enrichissement de sa propre personne, par l’Art en particulier, même si cela faisait naître en lui une crise existentielle de plus en plus tenace. Il vivait en quelque sorte une existence intemporelle et quand on lui disait qu’il profitait du système, il répondait « faites comme moi, vous ne tiendrez pas un mois avant de rejoindre le rang ».
Pourtant Job n’était pas heureux, alors que tous les cons qui l’entouraient paraissaient l’être. Un Homme heureux serait-il un homme qui travaille et ne se pose pas de questions ? C’est du moins ce qu’il pensait car le travail permet de rythmer sa vie sur des choses concrètes et donc non immuables. L’espoir de réussir sa vie enlève toute réflexion sur l’existence même, ce à quoi l’oisif ne peut s’empêcher de penser constamment. Au bout du compte, il ne resterait que deux issues, travailler en restant con ou finir dépressif en réfléchissant au vide de la vie. Job était donc voué à virer dépressif, il fallait donc qu’il se trouve quelque chose à faire mais qui ne ressemblerait en aucun cas à du travail…

Job, zonard d'intérieur Partie 1


Il devait certainement être très tard lorsque Job s'éveilla. Sa tête lui faisait affreusement mal et une envie de gerber remontait du plus profond de ses entrailles. Il se demandait ce qu'il pouvait encore rester dans son ventre lorsqu'il découvrit les multiples tas d'excréments qui peuplaient son appartement. Pourtant il ne mangeait quasiment rien, il se nourrissait essentiellement de bière et de vin rouge et chaque réveil était pour lui un mystère. D'où sortaient tous ces aliments digérés qui venaient couvrir le sol dont il avait depuis longtemps oublier la couleur?
Dans cette déchetterie, la seule chose qu'il tentait de préserver était cette vieille photographie où on le voyait encore jeune entouré de sa famille. On pouvait y aperçevoir un sourire qui en disait long sur sa naïveté de l'époque. En réalité, il n'accordait aucune valeur à ce portrait mais il cherchait en vain depuis des années à comprendre pourquoi sa vie avait évoluée de cette manière là. Certes, il avait un visage relativement hideux qui l'amener à penser qu'il n'y avait pas que de l'humain en lui. Dans son enfance, ses "amis" le surnommaient "Le Chat" tant son faciès prenait les formes de cet animal inutile: oreilles en pointe, petites moustaches précoces en éventail et surtout de petits "MIAOU!" qu'il lançait pendant son sommeil d'après les dires de sa mère. Ce physique qui ne l'avantageait pas l'avait très vite écarté de toute vie sociale. Les quolibets des jeunes de son âge, les remarques désobligeantes des adultes et les filles qui lui tournaient le dos lui apprirent très vite à vivre seul de manière autonome.
C'est au moment de l'adolescence, âge où tout le monde se cherche, qu'il se trouvât enfin. Il comprit qu'il n'était pas fait pour vivre en société et se créa son univers à lui tout seul. Sa réclusion l'avait mené dans un premier temps à explorer toute forme de perversion à travers les écrits d'auteurs peu fréquentables. Il sentait un bien-être l'envahir au fil des lignes et se réjouissait de ces multiples tortures auxquelles s'adonnait cette Race Humaine devenue méprisable à ses yeux.
Cette orientation dura jusqu'à ses vingt-cinq ans, âge légal où l'on peut vivre de manière autonome (Cela le faisait d'ailleurs rire quand il pensait à son prénom, comme si ses parents lui avaient indiqué ,de manière ironique, la voie de l'oisiveté). En effet,cette période perverse commençait à le lasser, il ressentait le besoin de partager des choses avec ces sortes de bipèdes qu'il observait de temps en temps caché derrière sa fenêtre. Il décida donc de faire quelques virées nocturnes dans la rue pour les y rencontrer mais il ne pouvait sortir à jeun et envisagea tout d'abord de se familiariser avec l'alcool...