Longue odyssée à travers une Galilée universelle, « Une Femme fuyant l'Annonce » relate la fuite d'une mère (Ora) qui tente d'échapper à la probable annonce de la mort de son fils.
Ora, c'est la pureté rêvée par l'auteur mais aussi par chacun d'entre nous. Mère aimante et réconfortante, elle est aussi une femme libre et émancipée, possède une vision éclairée et objective de la situation qui l'entoure. Elle décide de chasser la mort en y insufflant de la vie, marie le passé au présent pour imaginer un avenir plus supportable. Shéhérazade des temps modernes, Ora ne peut compter que sur sa parole face à la Mort et la seule manière de vivre c'est de revivre par la pensée ce qui a déjà été vécu. On pense par moment au « Livre de ma Mère » d'Albert Cohen, tant Ora incarne la mère parfaite, toujours à l'écoute de ses enfants, les observant sans cesse d'une manière sublime.
Mais Ora, c'est aussi une idée, une vision, la vision idyllique de David Grossman. Dans ce « voyage au bout de la vie », l'auteur multiplie les messages de paix et de lucidité sur la cohabitation entre arabes et juifs, mais aussi entre les Hommes. Loin de tenir un discours hippie cliché et vide de sens, Grossman plonge littéralement dans les êtres peuplant son voyage, glisse sur leur peau, les fait vivre par la parole et surtout détruit par sa prose magique la bestialité de l'Homme. « Une Femme Fuyant l'Annonce » est un « conte à rebours » qui décrit avec finesse la pression psychologique quotidienne que subissent les Israéliens dans ce conflit sans fin. Mais au lieu de sombrer dans le Pathos, de décrire une situation tragique pleinement justifiée, Grossman extraie ses personnages du contexte pour en faire à la fois des héros mythiques et des victimes émouvantes, simplement humaines.
Grossman réalise un Grand Livre grâce à sa prose. Simple, limpide et calme, les phrases semblent flotter sur les pages dans une sorte de légèreté grave. La construction anarchique mélangeant les époques et les personnages vient renforcer ce sentiment de fuite, cette volonté de trouver rapidement un sens à la Condition humaine. Les passages qui décrivent Ora enceinte sont d'une poésie et d'une douceur à couper le souffle. Par moment cette prose émoustille nos sens, on se met à la goûter et à la sentir. Cet arôme donne un peu plus de corps aux personnages tout en nous plongeant dans une contemplation fantasmée de la vie.
Bref, « Une Femme Fuyant l'Annonce » est un chef-d’œuvre qui se termine par trois petits points. Universel et volontairement ouvert, le roman est une initiation à ce que l'on connait déjà mais que l'on ne voit pas. Magnifique.
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