vendredi 5 décembre 2008

Le Sacrifice, Tarkovski (1986)


A la fois journaliste, critique et auteur dramatique, Alexandre est présenté comme un érudit. Cultivé et intelligent, il arrive à un stade de sa vie où le questionnement intérieur prend le dessus sur l’enchaînement des situations quotidiennes. Le jour de son anniversaire, une troisième guerre mondiale nucléaire est annoncée. Les prévisions apocalyptiques à venir vont accentuer la crise interne dans laquelle il s’est plongé et ce dernier décide de se sacrifier, en reniant tout bien matériel, afin de sauver l’humanité. Simple rêve ou réalité loufoque ? Alexandra réussit à ramener la paix mais pas à évincer le matérialisme qui reprend de plus belle.

Ultime film d’Andrei Tarkovski, « Le Sacrifice » dévoile la souffrance profonde vécue par le réalisateur à l’approche de sa mort. Or cette souffrance, certes personnelle, n’est pas propre à sa personne mais plutôt à l’Humanité qui prend une tournure matérialiste arrivant à en oublier la notion d’individu. Prétextant une troisième guerre mondiale, il place l’Homme face à une question existentielle et non plus matérielle. Il est plus important de sauver sa peau que son écran plat et donc on s’interroge tant sur l’avenir de l’Humanité que sur le devenir de notre propre personne.

Le principal fléau selon Tarkovski serait la parole. La citation « Au commencement était le Verbe » clôturant le film dénonce les vices cachés de la rhétorique. La parole, initialement prévue pour communiquer, a troqué son habit de sincérité contre un treillis et des rangers. D’un simple échange humain elle est devenue un flux d’informations pré-mâchées visant à acquérir une contrepartie et non plus un retour de même nature. Dans le film, Alexandre ne peut plus assumer son rôle de comédien car il n’arrive plus à trouver la sincérité pour endosser le rôle de ses personnages. Cette matérialisation de la parole a institué une hiérarchie peu révélatrice de l’état spirituel d’une société et a même pondéré son importance selon le niveau social auquel on se trouve.

Le matériel, et le confort qu’il apporte, est la deuxième plaie de l’Humanité selon le cinéaste. « Puisqu’il n’est pas nécessaire, il s’agit d’un péché ». Le progrès scientifique est toujours employé de manière erronée pour finalement devenir le bras droit de l’injustice. "Le microscope est utilisé comme une massue". Pour Tarkovski, il faudrait mettre en avant l’irrationnel en multipliant les actes inutiles afin d’accepter sa fragilité face à la mort et au temps, mais aussi de placer l’Homme au-dessus de sa tâche dans un but thérapeutique.

Comme dans tout film prophétique réussi, les références religieuses sont nombreuses. La longue Pénitence d’Alexandre, sa purification, sa perte de rationalité par le don de sa personne, le tableau de l’adoration des mages de Léonard de Vinci,… en constituent quelques exemples parmi les nombreux autres. Mais Tarkovski, sachant qu’il réalisait là son dernier film, a mis l’accent sur son aspect esthétique. Le jeu de lumière, tout en dégradé, offre des séquences pittoresques semblables à des peintures mouvantes. Les couleurs, délavées juste comme il le faut, ne sont jamais scintillantes et paraissent mélangées les unes aux autres. Elles reflètent l’abstraction qu’exerce l’environnement extérieur sur l’Homme. Enfin l'alternance de la couleur et du noir et blanc illustre une continuité entre une chair périssable et une âme éternelle.

Au final, le film testamentaire de Tarkovski est d’une pureté esthétique telle qu’on la regrette lorsqu’on en sort. Mais cette pureté, loin d’être naïve, vient amplifier le message alarmiste sur le devenir spirituel de l’Humanité qui s’aveugle, se ment et se noie peu à peu dans le matérialisme. Un chef-d’œuvre.

Une obligation pour ceux qui en auraient envie : L’ultime entretien de Tarkovski où il nous dévoile avec une intelligente simplicité sa vision du monde.

http://www.nouvellescles.com/article.php3?id_article=666

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