Voltaire, Rousseau, Diderot, Montesquieu ?
C'est qui ça ? Ils doivent au moins jouer en D2 avec des noms
pareils. Richard avait lâché cette phrase comme un rot contrôlé
puis s'était vite remis à sa tâche de tous les instants :
Faire apparaître la Lumière au moyen de son pouce.
Seulement deux siècles avaient suffi
pour populariser l'esprit de la Lumière. Plus besoin de faire usage
de son propre cerveau, le pouce faisait désormais l'affaire. Ce
dernier s'était doté d'un cerveau externe infaillible qui avait
réponse à tout. Confortablement maintenu par les quatre autres
doigts, ce cerveau High Tech était en quelque sorte une divinité
matérielle qui arrachait chaque humain à sa propre réalité.
Et quel bon choix que ce nouveau
cerveau. Chacun pouvait briller par sa connaissance pointue dans un
domaine que bien souvent il ne choisissait pas. Nous étions tous
devenus des intellectuels éphémères, capables d'obtenir n'importe
quelle information sans la moindre recherche, le pouce préhenseur
s'occupait de tout. D'un simple glissement de peau le monde s'ouvrait
à nous et captivait illico nos deux pupilles avides de nouveauté
surannée.
Nous avions été jetés dans un état
de disponibilité permanente, le temps libre sans attente
particulière avait été pulvérisé d'un seul coup. LE POUCE ÉTAIT DEVENU UNE LANGUE PARLANT LE MORSE, AVEC UNE VOIX CAPABLE DE TRAVERSER LES FRONTIÈRES. Nous baignions dans une bulle où toute
contrainte avait été annihilée, hormis le fait d'avoir du temps libre
propice aux divagations constructives. L'environnement y était sain,
nous y tenions une place choisie de manière méticuleuse, dotés
d'un physique rêvé et d'un intellect contrôlé au sein d'une
communauté loquace.
Mais depuis quelque temps, le Cerveau
de Richard avait été débranché, ses jours étaient comptés. Il
se mettait à clignoter, comme un malade qui a des regains de
vitalité avant la fin. La dictature EDF avait eu raison de lui. Tout
son univers s'écroulait, sa communauté sombrait dans le flou, son
intellect vacillait de plus de plus. Le manque de disponibilité
engendré le plongeait dans une véritable solitude, entourée
d'inconnus réels aussi perdus que lui. La Lumière n'était plus que
Spectre d'elle-même, l'obscurantisme faisait son retour. Après
quelques clignotements agonisants, Richard se retrouva plongé dans
un monde réel effrayant, sans notification l'aidant à analyser la
situation. Chair sans cerveau, ce corps se retrouvait face au Miroir
cruel et sincère de la réalité, perdu parmi des âmes levant un
pouce orphelin vers le ciel.
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