mercredi 21 mars 2012

Sin Nombre, Cary Fukunaga (2009)



« Sin Nombre » fait partie de ces films chocs sur la violence des gangs. Comme dans « Gomorra », « la Cité de Dieu » ou « l'Âme des Guerriers », on y retrouve un excès de réalisme qui nous transporte dans un univers morbide et instable. La violence y est omniprésente, tout autant que le suspense. Dans « Sin Nombre », on suit avec impuissance cette course vers l'Eldorado, cherchant une lueur d'espoir ou une quelconque trace d'humanité. Et c'est là que l'on remarque tout le talent du réalisateur. A l'intérieur d'un univers délabré et glauque, Cary Fukunaga réussit à construire une histoire et insuffle de la vie à ses personnages.


Fukunaga s'est grandement investi dans ce film en allant vivre le quotidien de ces migrants tentant de rejoindre les États-Unis. « Sin Nombre » prend parfois l'allure d'un documentaire, laissant la parole aux habitants du film. Accompagné par une musique tantôt porteuse d'espoir, tantôt triste à mourir, le film revêt un caractère immersif, même s'il est difficile de garder les yeux ouverts devant certaines scènes insoutenables.

vendredi 9 mars 2012

Hors Satan, Bruno Dumont (2011)


Le Cinéma de Bruno Dumont est un Cinéma minimaliste, sans code ni morale. L'Homme fait partie intégrante de la Nature, il faut donc l'y inclure tel quel, sans comédie humaine. Recherche existentielle, expérience sensitive ou encore cinéma expérimental, les films de Dumont c'est du tout ou rien. Soit on s'immerge soit on s'ennuie.


« Hors Satan » est certainement le film le plus accessible de Bruno Dumont. Tout d'abord par sa photographie, filmant des paysages d'une beauté quasi irréelle. Le personnage principal, dont on ignore tout sauf la plastique, semble transcendé par cette Nature qui lui offre une exaltation simple et originelle. Ensuite, le film est très immersif, l'absence de bande-son au profit de la douce musique éolienne donne l'impression d'assister à un documentaire mystique sur le noyau dur de l'Etre Humain. Cette réalisation minimaliste nous permet d'observer les acteurs qui redeviennent eux-mêmes. Dumont interroge ses acteurs à travers sa caméra, les place dans des scènes bestiales pour donner une définition naturelle de l'Humanité. Enfin, « Hors Satan » semble avoir un scénario offrant une mission terrienne à son personnage principal.


Ce qu'il y a de flagrant dans le dernier film de Dumont, c'est l'absence de féminité. A part la routarde que le personnage principal rencontre, on ne peut faire de différence entre un homme et une femme si l'on est pas au courant de la chose auparavant. Si bien que le sexe est ici très peu présent physiquement et revêt un caractère fusionnel et mystique.


Bref, il est difficile de décrire un film de Dumont, celui là en particulier, bien que plus accessible. A l'instar de Cormac Mccarthy, le réalisateur accorde une part importante à la Nature et filme l'Homme tel qu'il a été il y a très longtemps. Un peu à la manière d'un ethnologue, Dumont porte un regard simple et profond sur les âmes perdues qui peuplent ses films. Dans « Hors Satan », il semble faire la part belle à l'invisible afin de stimuler notre ressenti.

jeudi 8 mars 2012

L'Ordre et la Morale, Mathieu Kassovitz (2011)



Dans son dernier film, Mathieu Kassovitz revient sur la prise d'otages de gendarmes par des indépendantistes canaques sur l'île d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, et sur la libération tumultueuse de ceux-ci. S'appuyant sur le livre du capitaine Legorjus, le réalisateur signe un film politique autant que psychologique.


Tout au long de son film, Mathieu Kassovitz incarne le rôle du capitaine Legorjus, traître malgré lui. C'est d'ailleurs ce personnage qui constitue le cœur du film. C'est à travers lui que l'on va prendre conscience du décalage entre la réalité du terrain et les décisions prises via Paris (en période d'élections présidentielles, ce qui n'arrange rien).

Legorjus semble scindé en deux entre l'ordre qu'on lui donne et sa morale qui lui dicte le contraire. Dans cet homme, il a le Capitaine, qui exécute son travail et obéit aux ordres. Mais il y a aussi l'être humain qui possède une morale inapplicable à la situation absurde dans laquelle il se trouve. D'ailleurs, tout au long du film, Kassovitz ne cesse de finir ses conversations avec ses supérieurs par un « Oui mon général » obligé.


L'Ordre et la Morale » est un film totalement immersif. La bande son est lourde, grave et créé une atmosphère pesante au possible. Les nombreux arrêts sur image et ralentis qui ponctuent le film apportent une proximité encore plus grande entre le spectateur et le film. On se retrouve littéralement happé par cette « guerre » au destin inéluctable. Le suspense y est très présent, surtout quand on ne connaît pas cette histoire tragique et absurde.

L'ïle d'Ouvéa est présentée comme un petit Vietnam, la végétation est dense, les otages quasiment impossible à trouver. Les armes utilisés par les ravisseurs sont ancestrales ( fusils à un coup) comparées à celles des forces de l'ordre. Les clins-d'oeil à Apocalypse Now sont presque visibles. Durant ces 2h10, on suit aux premières loges cette vaste opération cruelle.


Sans mauvais jeu de mot, ce film fout la haine. On en ressort écœuré. Kassovitz filme des indépendantistes Kanaks civilisés et réfléchis, à l'opposé de l'image que s'en font les autorités depuis le continent.

« L'Ordre et la Morale » est le fruit de 8 années de travail. Sa réalisation est soignée, tout comme le message qu'il véhicule. Pourquoi a-t-il reçu un si mauvais accueil chez les médias comme chez le public. On lui reproche un côté caricatural et salissant pour la France. Mais finalement, le film ne porte-t-il pas sur le destin d'un homme qui se retrouve perdu et isolé dans un marasme ambiant et inéluctable ? Les films à polémique ne plaisent pas, car ils obligent à parler du sujet dont ils traitent.


Il est clair que Kassovitz prend parti en tant que réalisateur, mais en tant qu'acteur il endosse le rôle du traître, pour mieux servir sa cause de réalisateur. Tout la finesse du film réside dans le personnage incarné par Kassovitz et non pas sur la prise de position du réalisateur

mardi 6 mars 2012

We Need To Talk About Kevin, Lynne Ramsay (2011)


Difficile d'avoir une opinion tranchée à l'issue de ce cauchemar. Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit d'un bon film. Filmant avec froideur l'incompatibilité relationnelle entre une mère et son fils, « We Need To Talk About Kevin » est un véritable thriller psychologique.


Dès le début du film, on assiste à une scène où une foule en liesse s'inonde de tomates. Cette séquence ressemble à un cerveau en ébullition dans lequel la réalisatrice cherche une solution au problème posé dans son film. Puis on entre dans le cœur du film, univers glauque en apesanteur dans lequel la couleur rouge est omniprésente. On sent ( lorsque l'on n'a pas vu la bande-annonce) qu'un drame s'est produit mais on ne sait pas qui est fautif. Est-ce la mère, qui a du mal à se débarrasser de cette couleur rouge ? Est-ce le fils, qui montre une prédisposition à la violence ?

Nous ne le saurons qu'à la fin du film même si on le devine bien avant.


Mais la force de ce film, c'est la relation ambiguë entre la mère et son fils. Quelle est la cause de cette froideur qui naît entre eux ? La naissance de Kevin oblige Eva à changer radicalement de mode de vie : déménagement, arrêt de son travail, perte de liberté,... Plus qu'une nouvelle responsabilité, Kevin devient vite une plaie saignante pour sa mère. Le visage d'Eva est livide, maigre, inexpressif, on n'y dénote aucun signe de chaleur humaine. Des efforts, elle en fait, en lui jetant un ballon (rouge) à maintes reprises attendant ne serait-ce qu'un semblant de retour... en vain.

Quant à Kevin, il porte le démon en lui. Sa lente évolution vers la psychopathologie commence par de l'arrogance pour se transformer très vite en pulsions destructrices.

Cette relation, fluctuante tout au long du film, est finalement dévastatrice pour tout le monde, y compris pour nous, qui en ressortons dérangés et indécis.


Même si le film est bon, il n'est pas exempt de défauts. On peut reprocher à la réalisatrice une certaine distance voulue avec son public. Un peu d'émotion et d'humanité auraient apporté une puissance supplémentaire au film. La seule humanité que l'on trouve dans le film est incarnée principalement par le père, personnage à la gentillesse excessive et au laxisme le plus primaire. C'est regrettable car les personnages de Kevin et d'Eva portent le film de manière sublime et effrayante à la fois. Les seconds rôles semblent un peu bâclés, sans doute est-ce une façon de vouloir effacer toute trace de vie normale pour porter un jugement plus réfléchi ?


Au final, « We Need To Talk About Kevin » est un film Lynchien qui possède une atmosphère pesante. Lynne Ramsay nous décrit, de manière anarchique, la lente transformation d'une violence psychologique en une violence physique, autant incompréhensible que prévisible. Mais la réalisatrice nous montre aussi la limite fluctuante entre la culpabilité et l'innocence. La couleur du sang est omniprésente et vient à chaque fois illustrer une composante de la relation entre Eva et Kevin. A voir.

samedi 3 mars 2012

Une Femme Fuyant l'Annonce, David Grossman (2011)



Longue odyssée à travers une Galilée universelle, « Une Femme fuyant l'Annonce » relate la fuite d'une mère (Ora) qui tente d'échapper à la probable annonce de la mort de son fils.


Ora, c'est la pureté rêvée par l'auteur mais aussi par chacun d'entre nous. Mère aimante et réconfortante, elle est aussi une femme libre et émancipée, possède une vision éclairée et objective de la situation qui l'entoure. Elle décide de chasser la mort en y insufflant de la vie, marie le passé au présent pour imaginer un avenir plus supportable. Shéhérazade des temps modernes, Ora ne peut compter que sur sa parole face à la Mort et la seule manière de vivre c'est de revivre par la pensée ce qui a déjà été vécu. On pense par moment au « Livre de ma Mère » d'Albert Cohen, tant Ora incarne la mère parfaite, toujours à l'écoute de ses enfants, les observant sans cesse d'une manière sublime.


Mais Ora, c'est aussi une idée, une vision, la vision idyllique de David Grossman. Dans ce « voyage au bout de la vie », l'auteur multiplie les messages de paix et de lucidité sur la cohabitation entre arabes et juifs, mais aussi entre les Hommes. Loin de tenir un discours hippie cliché et vide de sens, Grossman plonge littéralement dans les êtres peuplant son voyage, glisse sur leur peau, les fait vivre par la parole et surtout détruit par sa prose magique la bestialité de l'Homme. « Une Femme Fuyant l'Annonce » est un « conte à rebours » qui décrit avec finesse la pression psychologique quotidienne que subissent les Israéliens dans ce conflit sans fin. Mais au lieu de sombrer dans le Pathos, de décrire une situation tragique pleinement justifiée, Grossman extraie ses personnages du contexte pour en faire à la fois des héros mythiques et des victimes émouvantes, simplement humaines.


Grossman réalise un Grand Livre grâce à sa prose. Simple, limpide et calme, les phrases semblent flotter sur les pages dans une sorte de légèreté grave. La construction anarchique mélangeant les époques et les personnages vient renforcer ce sentiment de fuite, cette volonté de trouver rapidement un sens à la Condition humaine. Les passages qui décrivent Ora enceinte sont d'une poésie et d'une douceur à couper le souffle. Par moment cette prose émoustille nos sens, on se met à la goûter et à la sentir. Cet arôme donne un peu plus de corps aux personnages tout en nous plongeant dans une contemplation fantasmée de la vie.


Bref, « Une Femme Fuyant l'Annonce » est un chef-d’œuvre qui se termine par trois petits points. Universel et volontairement ouvert, le roman est une initiation à ce que l'on connait déjà mais que l'on ne voit pas. Magnifique.