samedi 28 mars 2009

La journée de la Jupe, Jean-Paul Lilienfeld (2009)


Dans un collège de banlieue sensible, une enseignante désespérée tente de rétablir l’ordre dans sa classe par une méthode des plus convaincantes.
Petit film à la française, modeste, cruel mais pourtant tellement vrai, « La Journée de la Jupe » dérange par la lucidité de son constat. Tourné dans un quasi Huis Clos, la proximité entre enseignants et élèves, disparue depuis longtemps, est ici rétablie le temps d'une fiction.

L’enseignante (Isabelle Adjani) mets à nu un à un les élèves, profitant du pouvoir que lui offre la tenue d’un flingue. Sexualité, religion, racisme, réussite, autant de sujets banals qui sont abordés de la manière la plus originale. En plus de soulever les éternels problèmes de l’enseignement en zone sensible, le film se concentre en particulier sur la dignité de la femme. En effet, contrairement à leurs homologues masculins, les femmes sont montrées comme des battantes, refusant de se soumettre à l’animalité dans laquelle sont plongés les élèves.

Mais le film sort du cadre scolaire pour empiéter sur le politique en montrant le faux discours des autorités en place. L’image prédomine sur une quelconque volonté d’action et plutôt que d’agir foncièrement on tente d’étouffer le problème médiatiquement. Le principal du collège, incarné par Jacky Berroyer, présente son établissement comme un centre de gestion plus qu’un organe éducatif.

En somme, « La Journée de la Jupe » est un film des plus réalistes et plus qu’utile par les temps qui courent. A défaut de convaincre, il tente d’éclairer le regard de chacun sur les problèmes grandissants de l’éducation en banlieue et plus généralement sur l’éthique malsaine d’un Homme sans éducation. Woody Allen disait une phrase qui illustre bien ce film : « L’Education coûte cher ? Essayez sans »

mardi 24 mars 2009

Au-dessous du Volcan, John Huston (1984)


Exégèse du roman éponyme de Malcolm Lowry, « Au-dessous du Volcan » est incontestablement la meilleure adaptation cinématographique que je connaisse. Là où le roman apparaît complexe, déroutant, mystérieux et finalement ennuyeux, le film réussit à trouver un juste milieu entre accessibilité et fidélité sans sombrer dans la moindre vulgarisation.

Servi par un jeu d’acteur époustouflant, en particulier celui qui incarne le rôle exigeant du Consul, ce chef-d’œuvre revêt une légèreté trompeuse reléguant le Pathos au second degré afin de mieux l’amplifier. La pauvreté ambiante du Mexique, un réalisme proche de l’onirisme ainsi qu’un désespoir omniprésent, fondent quelque peu l’extrême souffrance du couple Geoffrey/ Yvonne dans le décor, à première vue. Pourtant, dès les retrouvailles des deux acolytes, on sent une démarcation, une souffrance extrême qui transcende tous les maux de la Terre. Séparés à jamais, les deux coeurs perdus sont filmés de manière intimiste par Huston d'où émane l’impossibilité d’une quelconque fusion, seule manière de faire rejaillir le feu du volcan à jamais éteint. Tout au long de ces deux heures, on assistera à des élans amoureux stériles subissant une désillusion de plus en plus tenace.

Contrairement au livre, Huston se focalise principalement sur le Consul et efface partiellement l’importance d’Yvonne, en tant que personnage. Rongé par la culpabilité, de plus en plus anéanti par son Amour qu’il regarde s’éloigner sans aucun espoir d’avenir, le Consul ne fait plus corps qu’avec sa bouteille afin « de retrouver un équilibre ». L’alcool le rend sobre, plutôt qu’une boisson, il s’agit là d’une nourriture, qu’il ingère de manière gloutonne et sans limites, ce qui est d’ailleurs magnifiquement filmé par Huston. Mais le Consul, c’est aussi cet être qui ne retrouvera plus jamais aucune réjouissance dans la vie. Nombreux sont les exemples, désespérément imagés, montrant qu’il n’existe plus, qu’il n’est plus qu’un spectre de lui-même.

Sans espoir, dénué de tout forme de fierté, mort avant de mourir, le Consul, à défaut d’avoir ravivé le feu de son volcan, meurt sous les coups de feu d’un pistolet, dans l’endroit le plus abject, après avoir voulu changer d’identité, comme si l’on pouvait échapper à son triste sort. Après « Gran Torino », certainement le meilleur film de l’histoire du cinéma…

lundi 23 mars 2009

L'antidote


L'arme du gangster fait valser la plume du rappeur. Le texte du rappeur fait rouler le jeune de banlieue dans sa BM, la vitre baissée, le coude à l'air. Le jeune de banlieue fait rêver le Hippie en lui vendant du mauvais shit. Le rasta albinos fait vivre le chanteur engagé dans le politquement correct, en lui offrant le fric de ses parents. Tryo, par ses textes ahurissants, offre une liberté encore plus grande à la maison de disque, productrice de flatulence... le gangster et le patron de la maison de disque trinquent à la santé du monde.


Effrayé par l'absence de sens, rongé par l'ennui, l'oisif finit par embrasser une carrière afin de reconquérir ce qu'il a perdu, son temps libre et sa liberté. En quête de normalité, il prend part aux combats éternels en se mentant sur l'inutilité de ses actions. Parce que les valeurs sociales tardent à venir, il fait porter le chapeau aux fainéants, et se satisfait quand ils se retrouvent dans la merde, comme s'il commençait à exister.


S'armer contre la solitude, ne dépendre que de soi-même et finalement ne pas y arriver, tel est la déception de l'Homme. Vomir ce que l'on était parce qu'on ne peut plus le redevenir, telle est sa manière de se rassurer.

samedi 21 mars 2009

Monde de Gloire, Roy Andersson (1991)



Paysages délavés, ambiance grisonnante et personnages déshumanisés, "Monde de Gloire" dérange, déprime et amène le spectateur à observer sa misérable existence.

Durant quinze minutes, on se retrouve en compagnie d'un courtier qui nous conte sa vie d'une platitude criante et d'une redondance à la limite du supportable. Aucun signe de vie, aucun mouvement et surtout aucune expression humaine que l'on cherche en vain tout au long de ce court-métrage. Et pourtant, le réalisateur décrit un univers quasi-identique au notre en y ajoutant une teinte plus morose et lucide.

De ce vide existentiel ambiant émane une multitude de messages plus dérangeants les uns que les autres. Une vie qui perd toute valeur lorsque l'on s'éloigne des personnes qui nous entourent, un confort acquis au prix fort et rimant avec ennui, mais surtout une situation déplorable qui parait immuable du fait de la bêtise humaine et par besoin de stabilité.

Nihiliste, minimaliste mais en somme efficace, "Monde de Gloire" bouscule toute convention sociale et stimulerait l'esprit le plus primaire en lui faisant rejeter toute situation stable.

Finalement le talent de Roy Andersson se trouve dans sa manière de filmer l'homme dans son plus simple apparat, dans ce qu'il est et que l'on n'ose regarder ou dans ce que l'on voit et que l'on ignore consciemment. L'art de décrire un monde sans art, construire avec du vide, faire passer des idées par l'intuition, autant de messages que ce talentueux réalisateur réussit à transmettre avec succès tout en restant étonnamment modeste.

P.S: Pour ceux que ça intéresse, le court-métrage peut être visionné en ligne à l'adresse suivante: http://just4shortmovies.blogspot.com/.

lundi 16 mars 2009

Les Plages d’Agnès, Agnès Varda (2009)


Portrait de spectres pleins de vie, autobiographie aux allures testamentaires, documentaire on ne peut plus ludique, « Les Plages d’Agnès » établit un lien direct entre fiction et réalité. La réalisatrice de "Cléo de 5 à 7" filme ce qu’il y a derrière sa caméra et pose un univers débordant de poésie nostalgique et visionnaire. Usant de son Art, si modeste et pourtant si imagé, elle nous dévoile ses combats, sa vision unique d’un monde plein de richesses cachées et surtout « se souvient de sa vie ».

Tout a une fin et pourtant tout est éternel chez Agnès, ses souvenirs viennent peupler son présent pour rejaillir comme des idées neuves. La jeune mamie de 80 ans habille ses décors pour se mettre à nue avec une pudeur et une sensibilité des plus intenses. S’entourant d’enfants, de figurants, de miroirs, de photographies, offrant généreusement quelques extraits de ses films, elle se refait une petite jeunesse en revivant son passé et montre toute l’utilité de l’Art, indispensable au bien-être de chacun.

Semblable à une fresque qui se replie sur elle-même, « Les Plages d’Agnès » clôt une époque, celle d’un cinéma cohérent et humain, proche du spectateur que l’on respecte autant que l’acteur. Loin d’être paradoxale, Agnès Varda est complémentaire. Vivant avec son temps, elle sait trouver une place à toute valeur que l’on jugerait dépassée voire démodée. Aimée de tous, des jeunes comme des vieux, on ne désire qu’une seule chose en sortant de la salle : visionner à nouveau tout ces films magnifiques et uniques.

mercredi 11 mars 2009

Voyage dans le corps de la Terre


Aujourd'hui M. est morte. Je contemple la pièce sans elle, peuplée d'objets mutilés, ravivant des souvenirs périmés et douloureux. Il y a ce fauteuil, sur lequel quelques-uns de ses cheveux orphelins ondulent encore dans le courant d'air glacial et silencieux, semblables à des vers à qui l'on a arraché une partie du corps. Ces habits, soigneusement rangés dans le placard, n'habilleront plus que son odeur qui a préféré prolonger son séjour ici-bas. Puis il y a cette organisation rappelant toutes ces scènes de la vie quotidienne, déjà si lointaines mais de plus en plus blessantes. Bizarrement, des petits détails que l’on aurait balayé d’un geste neutre et indifférent prennent désormais une importance primordiale, comme ce morceau de pâte crue qui espérait cuire sur le carrelage.

Depuis le temps a passé et je me retrouve seul avec cette issue tragique qui semble ne concerner que moi. La mort est venue s’immiscer dans ma vie déjà remplie par une solitude des plus intenses. Tous ces petits gestes quotidiens que je partageais avec M. avaient réussi à m’aveugler sur la tragédie commune propre aux Hommes. Un peu de lecture, quelques tâches ménagères puis le petit film du soir qui donnait souvent lieu à de grandes discussions entre nous, maquillaient ma pauvre existence en un rituel utilitaire et rationnel. Il y avait également cette différence d’âge, rassurante quand on est le plus jeune. On ne voit pas la mort en face lorsque l’on vit avec des personnes paraissant plus proches de cette issue.

A quand le moment où mon corps peuplé de rivières pourpres et vivifiantes se transformera en un lac de sang inerte recouvert par une peau putride et puante ? Pourquoi ce drame me hante-il au quotidien ? A quoi ressemblerai-je lorsque je serai mort, où passeront ces 21 grammes soit disant éternels ?
Mon quotidien consiste à se demander pourquoi construire son propre univers si c’est pour que celui-ci disparaisse à un moment plus ou moins attendu. Lorsque l’on voit la mort en face, beaucoup de questions rationnelles se résolvent par elles-mêmes. Toute cette comédie humaine devient de l’événementiel sans attrait, on s’attache à la seule valeur humaine, unique source de vitalité et on se fout de tout ce qui sert à perdre sa vie sans la vivre. Acquérir un bien-être humain plutôt que de se mentir en se laissant vivre par les autres, voilà ce que l’on souhaite lorsqu’on est mortel. La conscience de cette fatalité permet aux Hommes de rechercher une jouissance absolue sur Terre et de fonder leurs espoirs dans le présent, après libre à chacun d’entre nous de se consoler comme il le peut sur son triste sort, du moment que ça reste dans l’ordre de l’individuel.

Enfin, ce qui a changé depuis que je suis mortel, c’est ma façon de voir les autres. Une certaine peur pour les enfants qui n’ont pas encore appréhender ce drame, de la compassion pour les vieillards qui se trouvent devant le fait établi et le rejet de la masse au profit de l’individu pour les autres. Paradoxalement, la mort incite à tenir compte de l’individu plus que de la masse. Les questions que l’on se pose à soi-même se reportent aussi sur les autres et l’on voit les choses d’un angle de vue plus propice à l’échange. Mais la Mort c’est loin encore, mieux vaut ne pas y penser…

mardi 10 mars 2009

Surveillance, Jennifer Chambers Lynch (2008)


Après une fusillade entre policiers et tueurs en série, deux agents du FBI mènent leur enquête pour éclaircir un peu la situation. Les trois rescapés de ce drame sont une toxicamane, une fillette et un policier. Chacun donne sa version des faits en mentant plus ou moins...


"Surveillance" est un film sans morale, vide de sens mais pourtant tellement divertissant. Les personnages, d'apparence banale, cultivent tous ce brin de folie qui nous déconnecte de toute réalité. Grâce à cette ambiance, on devient plus indulgent pour finalement se foutre totalement des détails incohérents et se laisser mener par ces êtres corrompus et malades.


Comme dans "Boxing Helena", on retrouve cette relation entre dominant et dominé. Plus on monte dans la hiérarchie et plus la corruption et la bestialité augmente, l'insécurité provient de ceux qui sont censés la combattre et la machination que l'on ne soupçonne pas au début prend sournoisement forme sous nos yeux.


Contrairement aux critiques foireuses que l'on peut lire à son sujet, "Surveillance" reste un film divertissant grâce à une réalisation loufoque mettant en scène des acteurs inconnus qui répandent une folie ambiante sur son ensemble. L'influence de David Lynch n'est jamais très loin, surtout dans la psychologie des personnages, évasive et décalée.

jeudi 5 mars 2009

Gran Torino, Clint Eastwood (2009)


Ultime film du grand Clint Eastwood, « Gran Torino » est sans hésitation l’un des plus beaux moments de cinéma que l’on passera dans une vie.

Tranche de vie entre deux enterrements, mais surtout regard réaliste et cynique sur un monde frileux et nerveux, ce testament hilarant est avant tout un cadeau généreux offert au public. Sorte de miroir de notre société actuelle en perpétuelle déliquescence, « Gran Torino » amène tout d’abord à rire de soi, des autres et surtout des clichés qui pourrissent le quotidien. Le réalisateur tourne en dérision des thèmes phares comme la liberté d’expression, la négligence de nos vieux ou le racisme en faisant ressortir leurs platitudes. Jamais une scène n’a sonné aussi vraie que celle chez le coiffeur « rital » où Clint Eastwood, le « Pollack » apprend à parler à son petit protégé, un niakoué.

« Gran Torino », c’est également un réalisateur qui joue avec son public. Les clins d’œil aux westerns sont souvent présents, avec cette main qui sert de pistolet fictif et ce regard perçant que l’on connaît depuis « Le Bon, la Brute et le Truand ». L’affrontement avec les blacks en restera la meilleure scène, désormais culte.
Clint Eastwood fait du spectateur son confident, s’adressant uniquement à lui par moment mais surtout lui faisant comprendre que le cinéma est immortel et que l’on peut passer deux heures à rire des sujets les plus graves.

Enfin, à travers la symbolique illustrée par la « Gran Torino », le réalisateur voit son Art comme un héritage à prendre en compte mais également à poursuivre et s’adresse par la même occasion à ses pairs. Mais loin d’avoir la grosse tête, Clint Eastwood affirme que nul n’est indispensable, aussi talentueux que l’on soit. La scène finale avec le briquet illustre la fin d’un acteur talentueux qui s’écroule les bras en croix.

Clint Eastwood tire sa révérence de façon magistrale et nous le fait d’autant plus regretter que son dernier film est de loin son meilleur.

mardi 3 mars 2009

The Wrestler, Darren Aronofsky (2009)


Après le mystique mais très beau « The Fountain », Darren Aronofsky nous offre dans « The Wrestler » un moment de pure émotion à travers l’histoire d’un catcheur sur le déclin. A la fois documentaire sur le Catch et magnifique portrait d’un homme dont le destin tragique paraît inéluctable, ce film fait preuve d’un réalisme et d’un esthétisme surprenant.

Caméra au corps, Aronofsky tente de pénétrer à l’intérieur de ce catcheur dont on ne connaît que la personnalité scénique. Au fur et à mesure que les minutes défilent, l’être tendre et sensible prend le dessus sur la bête fruste et spectaculaire que le public présent dans le film observe. Sur ce point le réalisateur réussit à faire entrer le spectateur dans la confidence et lui fait observer l’envers du décor, totalement contradictoire avec l’opinion que l’on pourrait s’en faire. Il met en opposition deux publics, celui du film, excité et dupe, et celui dans la salle de cinéma, compatissant et muet.

Outre les nombreuses techniques de Catch dévoilées qui montrent à quel point ce métier et difficile, dangereux et contraignant, c’est surtout l’impossibilité d’y joindre une quelconque vie privée qui saute aux yeux. Randy (Mickey Rourke) est incapable d’avoir une relation sérieuse avec sa fille qu’il délaisse par superficialité. Le personnage qu’il s’est forgé tout au long de sa carrière a pris son identité et lui colle à la peau. Lorsqu’il rencontre Cassidy, strip-teaseuse et cœur perdu comme lui, il ressent une certaine affinité avec elle. La relation atypique entre ces deux personnages est d’ailleurs un des points forts du film.

Mais les signes du déclin sont là. Randy tente de se reconvertir en trouvant un travail dans une boucherie qui lui ouvre les yeux sur sa propre identité. Sans le Catch, il ne ressemble qu’à cette viande froide qu’il vend tous les jours à ses clients.
C’est également tout le milieu du Catch qui est en mutation. Le public, même s’il vénère encore les idoles, aspire à plus de spectacle et raffole toujours plus de l’extrême. La scène de la console de jeu va dans ce sens-là et marque la fin d’une époque.

Film intimiste et émouvant, « The Wrestler » revêt cet aspect « Grand Public » par ses acteurs mais aussi par sa mise en scène. Pourtant, le réalisateur y ajoute quelques scènes chocs (celle de la boucherie en particulier) afin de réveiller la personne qui n’aurait pas encore pris conscience qu’elle est train de regarder un chef-d’œuvre.

lundi 2 mars 2009

La Parole, l’Ecriture et les Maux

L’Ecriture, une plume dans le cul, se fait un sang d’encre de laisser feuille blanche. C’est pourquoi elle s’allie à la Parole qui s’avère être un bon complément en cas de panne sèche. Bien qu’il soit plus approprié de prendre une ligne pour tourner la page, il reste tout de même difficile de tirer un trait définitif à nos problèmes.
La Parole, filandreuse et légère, permet d’explorer tous les recoins de nos maux pour donner un signal de départ à l’Ecriture. Certes, elle peut se vêtir de différentes tonalités permettant à l’être qui la créer de se camoufler derrière un timbre de voix plus ou moins lâche, mais elle parvient souvent à réveiller une main avide de récit.

C’est ainsi que la Parole s’intériorise et envahit notre tête pour guider secrètement l’Ecriture qui tracera le trajet le plus court entre le problème et sa résolution. Cette petite voix intérieure commence très vite à divaguer, à apporter une masse d’informations que l’on cherche en vain à organiser, à hiérarchiser voire à travestir. Les mots qui ne voulaient pas sortir de notre bouche ne veulent pas non plus se poser sur la feuille, la pudeur prend le dessus sur le mal-être et la forme devient finalement le fond même de notre texte.
On se calque alors sur des tournures techniques, qui serviront de corps à notre propos et le problème personnel et gênant deviendra vite quelque chose de particulièrement général. La richesse d’une Ecriture cache souvent une stérilité volontaire de l’Esprit car elle enjolive un vide et recouvre ce que l’on cache au fond de soi.

Au final, on possède deux styles d’Ecriture. L’une connue, mais que l’on cache au fond de soi, et l’autre amorcée par la Parole que l’on déguise et que l’on offre à soi-même ou à autrui. Mis à part notre propre personne, les Hommes ne sont en fait que des images trompeuses et approximatives d’une réalité impossible à dévoiler car ils ont besoin d’un jardin secret qu’ils cultivent dans la solitude. Comme disait le poète, « le plus difficile n’est pas de monter mais en montant de rester chez soi ». La Culture comme épanouissement personnel devient vite un mensonge que l’on se fait à soi-même, nous donnant l’illusion de se libérer. On en connaît de plus en plus mais on en dit de moins en moins, on habille notre pensée pour la rendre stérile, l’intelligence pure servant uniquement à organiser la forme de notre pensée et non pas sa propre structure.

C’est à ce moment-là que toute forme de beauté, de destruction, d’humour, « d’expression libre » ou encore de marginalité servile apparaît pour pallier un trop-plein existentiel trompeur qui ne peut sortir qu’au compte-goutte et engendrant une implosion que l’on nomma jadis Folie. L’Homme n’est finalement qu’un animal de plus en plus exigeant au fur et à mesure qu’il s’instruit et son Ecriture, comme toute forme d’Art, épouse une norme, celle que l’on s’est forgé avec l’image des autres.